Hôtel de Bernis Janvier, mars 2016
Lunel (Hérault) 164 et 227, rue Alphonse Ménard Hôtel de Bernis et Jardin de l’Observance
Sondages et étude de bâti Janvier, mars 2016
Claude Raynaud (CNRS, UMR 5140) avec Nathalie Caballero et Audrey Lee (Atelier d’Archéologie, Lunel-Viel) 2 3
SOMMAIRE
Introduction
1. L’hôtel de Bernis
1.1. Analyses de bâti
1.1.1. La « synagogue »
1.1.2. La « boulangerie rituelle »
1.1.3. Les sondages du jardin Médard
2. Le sondage du « jardin Palos »
3. Etude des céramiques
4. Etude du mobilier métallique
5. Etude numismatique (Richard Pellé, INRAP ; Christian Gourillon)
6. Conclusion
Fig.1. Localisation géographique de la ville de Lunel
Equipe scientifique
Claude RAYNAUD (CNRS, UMR 5140, Responsable d’opération)
Daniel AMBLARD (bénévole, Atelier d’Archéologie)
Christian GOURILLON (bénévole, Atelier d’Archéologie)
Nathalie CABALLERO (archéologue indépendante, Atelier d’Archéologie)
Audrey LEE (archéologue indépendante, Atelier d’Archéologie)
Jean-Bernard SAYN (bénévole, Atelier d’Archéologie)
Remerciements à Mme de Crécy et M. Figère, co-propriétaires de l’hôtel de Bernis ainsi qu’à Mme Palos, pour avoir autorisé nos recherches archéologiques.
Notice scientifique
Depuis 2011, le centre ancien de la ville de Lunel fait l'objet d'une étude de topographie urbaine et de sondages d'évaluation. En 2016 nous avons obtenu l’autorisation de pratiquer des sondages aux abords d’un bâtiment traditionnellement identifié comme la synagogue médiévale. Inclus dans les dépendances de l’Hôtel de Bernis, résidence des XVIIe-XVIIIe s., ce bâtiment relève d’une morphologie qui la distingue de l’architecture religieuse autant que de l’habitat urbain, et la rapproche d’une construction défensive. Si les aménagements modernes interdisent toute observation dans le sol de l’édifice, l’analyse du bâti invite à envisager un édifice du XIIe ou du début du XIIIe s. dont le rapport au culte hébraïque reste problématique, nul aménagement liturgique ne permettant habituellement d’identifier une synagogue. Aux abords de l’édifice, une salle en sous-sol initialement interprétée comme boulangerie rituelle de la communauté juive, a fait l’objet d’une étude de bâti ainsi que d’un sondage. A l’issue de cette analyse, le bâtiment a du être requalifié comme probable glacière des XVIIe-XVIIIe s., réaménagée en cave vinicole au XIXe s.
Trois autres tranchées-sondages, couvrant 11 m2 au total, ont été réalisées dans la cour d’entrée de l’hôtel de Bernis à une quarantaine de mètres au nord-ouest de la « synagogue ». Ces sondages ont livré principalement un important niveau de démolition de constructions en terre crue sur fondation de pierre. L’abondant mobilier lié à cet épisode témoigne d’une occupation de la fin du XIIIe s. et/ou du premier quart du XIVe ., suivie d’un apparent abandon du quartier.
Un cinquième sondage (7,5 m2) a pu être effectué dans une parcelle à l’emplacement de l’ancien couvent de l’Observance, à l’est de la rue Alphonse Ménard -anciennement rue de la Calade ou rue Droite - principal axe urbain qui reliait le château des Gaucelm à l’église Notre-Dame. Cette intervention offrait la possibilité de pratiquer de premières observations stratigraphiques dans l’emprise présumée du castrum, qui précéda l’établissement des enceintes urbaines. Si aucun indice de l’installation du castrum aux alentours de l’an mille n’a été observé, le sondage a révélé une occupation au XIIe s. nettement caractérisée sur le paléosol qui connaît alors un remaniement superficiel. Un dallage reposant sur un radier, marque ce premier niveau aménagé, sans que l’on puisse en caractériser la fonction, domestique ou défensive. Les vestiges médiévaux ont été largement amputés par un important creusement, fossé ou tranchée de démolition qui intervient dans la seconde moitié du XVIe ou le début du XVIIe s., période durant laquelle la ville de Lunel a subi plusieurs sièges liés aux conflits religieux.
L’ensemble des observations réalisées à l’Hôtel de Bernis et dans la parcelle voisine, livrent de premiers éléments d’analyse sur la topographie et la chronologie de ce quartier aux origines de la ville.
Fig.2. Le centre ancien de la ville de Lunel (fonds IGN agrandi au 1/10000e env.)
Fig.3. Localisation de l'Hôtel de Bernis et des parcelles AX 40 et 68 sur le cadastre au 1/2500e.
Introduction
Dans la plaine littorale du bas Languedoc, la ville de Lunel se situe à mi-chemin entre Nîmes et Montpellier dans la zone de contact entre les collines de la garrigue et la plaine alluviale du Vidourle. Cette zone est caractérisée par des sols bruns calcaires épais, limoneux ou argilo-limoneux, sur accumulation de sols fersiallitiques tronqués, sur limons marneux de la plaine de Mauguio-Lunel à passage de cailloutis calcaires ou sur marnes villafranchiennes (Cbm-UL) (Arnal 1984, unité 23 ; appelé localement taparas).
Les premiers temps de la ville de Lunel demeurent mal cernés. Depuis la publication de l’Histoire de la ville de Lunel par Thomas Millerot en 1891, aucune recherche d’ensemble n’a réellement été effectuée. Cet ouvrage, malgré le fait qu’il soit très bien documenté, est aujourd’hui désuet. Ainsi, l’émergence et le développement de la ville de Lunel restent assez mal connus. Les sources écrites attestent qu’un centre de pouvoir et de peuplement s’était développé autour de l’an mil. Ces données d’archives mentionnent un seigneur Gaucelm vers 1007 et un castrum vers 1035, mais on ignore à quand remonte l’occupation du site et quelle en était la forme initiale. Aucun indice archéologique concernant l’Antiquité et le Moyen Âge n’a été identifié à l’intérieur de l’agglomération (Raynaud 2012a).
L’hypothèse ancienne et tenace avancée par Thomas Millerot selon laquelle la ville aurait été créée à l’époque romaine, tenait à la datation antique de la base de la tour du clocher de l’église Notre-Dame. En réalité, cet édifice ne ressemble en rien aux vestiges d’une première enceinte romaine mais possède par contre les attributs d’un monument du XIe ou XIIe siècle (Raynaud, 2006). Lunel a bien existé à l’époque gallo-romaine mais il s’agit évidemment de Lunel-Viel, où plus de vingt années d’enquête archéologique ont exhumé une agglomération dynamique, bien établie au carrefour de voies littorales dès le premier siècle de notre ère.
Faute d’archive mentionnant la création de la ville, la seule possibilité de répondre à la question des origines de Lunel réside dans une analyse archéologique du centre ancien, où aucune recherche n’avait été menée avant ces dernières années. En effet, si la région lunelloise a connu depuis quatre décennies d'importants travaux archéologiques, d'abord à Ambrussum (1968-2010), ensuite à Lunel-Viel (1979-2002), puis en divers lieux de la commune de Lunel, à Dassargues (1992-1993) et au Mas de Fourques (2006), jamais le sol de la ville n’avait été sondé. Ces recherches sur la basse vallée du Vidourle éclairent d'un jour nouveau l'histoire régionale depuis l'Âge du Fer jusqu'au Moyen Âge et font du Lunellois l'une des régions les mieux connues de la France méditerranéenne (Raynaud 2012a), ce qui met d’autant plus l’accent sur la nécessité de situer l’émergence de la ville de Lunel dans cette ample dynamique de peuplement.
Pour ces raisons, une enquête méthodique a été entreprise par notre équipe dans le centre ancien de la ville depuis 2011. A ce jour, six sondages ont été réalisés : en 2011 dans la rue Malinas, en 2012 rue Jacques Durand, en 2013 rue Marc-Antoine Ménard et rue de la Libération. La stratigraphie, les aménagements ainsi que le mobilier relevés dans ces sondages nourrissent une première approche de la chronologie, de la topographie et de la culture matérielle de la ville au cours du Moyen Âge.
De janvier à mars 2016, notre travail s’est poursuivi dans la rue Alphonse Ménard où quatre sondages ont été effectués dans des jardins et un cinquième dans le bâtiment voisin de la synagogue médiévale présumée, dont l’analyse de bâti a été conduite parallèlement. La fouille s’est accompagnée d’un examen systématique des sédiments au détecteur de métaux, grâce auquel a été découverte une dizaine de monnaies, apport décisif pour la datation des observations de fouille ainsi que pour l’affinement de la chrono-typologie des céramiques.
1. L’hôtel de Bernis
L’intervention principale de 2016 était localisée dans l’enceinte de l’hôtel de Bernis, situé aujourd’hui en lisière sud du centre historique de la ville de Lunel, le long du boulevard Saint-Fructueux qui souligne la démarcation entre le bâti ancien, au nord, et les lotissements du second XXe s., au sud (fig. 3). En réalité, cette position limitrophe est accidentelle et résulte des destructions opérées dans les quartiers sud de la ville pendant les guerres des XVIe et XVIIe s. En 1563, le couvent de l’Observance situé « aux faubourgs de ladite ville » est rasé sur ordre du gouverneur protestant de la ville, qui fait aussi abattre plus de 600 peupliers du jardin attenant, « de crainte qu’il ne servit de retraite à un camp » (Roüet 1878, 269). Dans ce secteur s’élevait la citadelle édifiée en 1573 sur ordre du gouverneur Damville (HGL, V, 336). En 1591, un procès soutenu par les anciens propriétaires des immeubles englobés par la citadelle, nous apprend que celle-ci s’élevait près de la porte Condamine, au sud de la ville, et qu’elle comprenait plusieurs maisons ainsi que l’église Saint-Fructueux, déjà ruinée lors des troubles en 1562 (Millerot 1891, 282). De nouvelles destructions intervinrent en 1622 lors du siège par l’armée de Condé, suivi du rasement de la citadelle et de l’enceinte ordonné par Louis XIII (Roüet 1878, 10-12).
La révocation de l’Edit de Nantes réveillant le conflit religieux, un nouvel élément fortifié, la « muraille des Camisards », fut bâti en 1703 au nord de la citadelle et des quartiers rasés des enclos Malinas et de Larnac ; il formait la courtine sud de l’enceinte urbaine, sur le tracé de l’ancien boulevard de Bernis, actuel boulevard Saint-Fructueux (Millerot 1891, plan des enceintes).
La topographie moderne de la ville se trouve considérablement modifiée à l’issue de ces destructions et remaniements, la ville perdant ses quartiers sud et ne retrouvant son extension méridionale qu’au dernier tiers du XXe s. L’occupation antérieure est cependant attestée par des découvertes fortuites effectuées lors des travaux de lotissement des années 1970. Des sondages sont envisagés dans ces quartiers au cours des prochaines années.
Ce correctif topographique permet de replacer le site de fouille dans une configuration médiévale sensiblement différente de l’actuelle, où le site de l’hôtel de Bernis occupait en réalité une position centrale au sein de la première enceinte, contigüe à l’emplacement présumé du castrum d’origine, dont il est séparé par l’ancienne rue de la Calade ou rue Droite, actuellement rue Alphonse Ménard, axe majeur de la première voirie urbaine (fig. 4). S’appuyant sur un texte de 1375, Millerot pense même que « le château du seigneur était situé au bas de la rue Droite, aujourd’hui Alphonse Ménard, c’est à dire sur l’emplacement de l’ancien hôtel de Bernis (ibid., 166). L’analyse archéomorphologique des plans anciens va dans le même sens, tout en proposant de localiser le château non pas à l’ouest mais à l’est de la rue, à l’emplacement actuel de l’école Henri de Bornier.
Selon les notes manuscrites de M. Maurice Figère, ancien propriétaire de la demeure, l’hôtel de Bernis aurait été construit à la fin du XVIIe s. par Jean, Pierre de Pierre, gouverneur de la ville de Lunel en 1706. La famille de Pierre, établie à Saint-Martin d’Ardèche, aurait hérité des biens et des titres de la famille Des Ports, détentrice d’une vaste seigneurie de la région lagunaire entre Lunel et Aigues-Mortes. Une note de M. Figère cite un acte conservé dans les archives de la famille Pierre des Ports mentionnant en 1272 la vente par Raimond de Lunel, chevalier habitant Saint-Nazaire, à Guillaume des Ports, jurisconsulte, d’une habitation (à Lunel ?) confrontant le chemin de la Treille vers le portal des juifs (liasse 36, n° 1 ; notaire Barthel-Rostang). Une étude complète du document original ainsi que du fonds d’archive, permettrait probablement d’affiner cette généalogie du lieu et des bâtiments qu’il porte.
L’hôtel doit son nom à la branche cadette de la famille Pierre de Bernis, ancien lignage du castrum de Bernis près de Nîmes. La famille fut illustrée au XVIIIe s. par le cardinal Joachim de Bernis (1715-1794), académicien, ministre des affaires étrangères de Louis XV, ambassadeur à Venise puis à Rome à la veille de la Révolution. Né en Vivarais et grandi à Paris, le cardinal n’a probablement jamais mis les pieds à Lunel.
La demeure tranche dans le tissu urbain par son corps linéaire de 42 mètres d’est en ouest pour une largeur de 10 mètres, faisant retour à l’est et à l’ouest par deux courtes ailes (fig. 5). On y accède du nord (rue Emile Zola) par une entrée monumentale, large portail encadré par deux pavillons symétriques, puis par une allée traversant sur 30 mètres de profondeur un ancien jardin désaffecté. Si la porte axiale du bâtiment marque une réelle distinction, son décor de guirlandes végétales reste peu typé et difficile à dater entre la fin du XVIIe et le début du XIXe s. (analyse de J.-L. Vayssettes). De même, la sobriété de la façade doit être soulignée, avec ses trois niveaux où s’ouvrent huit fenêtres à linteau en anse de panier.
Au sud de l’hôtel, depuis la rue Alphonse Ménard un portail à cintre en anse de panier, donne accès à un vaste jardin qui s’étend sur toute la largeur de l’îlot (50 mètres) et sur une profondeur de 46 mètres jusqu’au boulevard Saint-Fructueux, anciennement nommé Allée de la Muraille.
Fig. 5. L'hôtel de Bernis, façade nord et cour d’entrée (« jardin Médard »).
Fig.6. Localisation de l'Hôtel de Bernis sur le plan terrier du XVIIIe s. et sur le cadastre actuel.
L’ensemble est complété par des constructions annexes, chai et atelier du XIXe ou du début du XXe s. dans le tiers oriental de la cour nord. Tandis qu’à l’ouest l’hôtel s’étend jusqu’à la rue des Arts, il est bordé à l’est par un corps de bâtiment rectangulaire partagé entre une cuverie vinicole au nord (fig. 9, pièces E-F), une remise ou écurie (C), et enfin l’édifice où l’on situe traditionnellement la synagogue médiévale, au sud (fig. 6, parcelle 59 ; fig. 9, bâtiment A).
Fig.7. L'Hôtel de Bernis et ses dépendances sur le plan terrier du XVIIIe s., détail.
Le découpage parcellaire actuel reproduit assez fidèlement le plan terrier dressé vers la fin du XVIIIe s. (AD Hérault, G 1722). Dès lors l’îlot est occupé pour plus de moitié par les « maisons, écuries, cours et paillère à M. le Comte de Bernis », que complète au sud le Grand Jardin où l’on reconnaît sans peine l’actuel jardin, récemment subdivisé (fig. 6).
L’analyse détaillée de ce plan fait apparaître que, l’actuelle rue Emile Zola n’étant pas encore percée, l’accès à l’hôtel s’effectuait par un passage privé situé au sud-est et venant de la rue de la Calade (fig. 7). Ce point pose la question de l’aménagement de l’entrée monumentale par la rue Zola, qui dut être réalisée ultérieurement, peut-être vers le début du XIXe s. Ce type d’entrée par un passage en retrait de la rue, caractérisait l’ensemble de l’îlot, massif et de distribution malcommode, où trois autres passages desservaient des cours, remises ou habitations enclavées. Deux de ces passages, conservés plus au nord dans la rue Ménard, gardent des éléments de fermeture par un portail de construction probablement médiévale. Inclus par le plan terrier dans le bâti de l’hôtel dont les parties ne sont pas détaillées, le bâtiment médiéval qui a suscité notre intervention occupe le flanc est de l’îlot. Il se distingue nettement des bâtiments de l’hôtel, formant saillant près du passage d’entrée.
1.1. Analyses de bâti
1.1.1. La « synagogue »
L’importance de la communauté juive de Lunel aux XIIe et XIIIe s., son rayonnement en tant que foyer intellectuel, font que l’on ne peut étudier l’évolution de la ville sans s’interroger sur la part et la place qu’y occupaient les édifices liés au culte et à la culture hébraïques. Depuis le XIXe s. plusieurs auteurs se sont penchés de diverses manières sur ces questions difficiles que l’on ne peut développer ici et sur lesquelles on renverra aux travaux les plus récents (Raynaud 2006 ; Chalon, Florençon 2006). Un point doit cependant être souligné car il commande et conditionne l’avancement des recherches. L’historiographie du peuplement juif de la France méridionale est encombrée d’allégations hasardeuses issues de traditions dont le fondement reste généralement indécis mais qui ne peuvent être rejetées d’emblée.
Une localisation incertaine
Ainsi en va-t-il de l’assurance avec laquelle on situe la synagogue de Lunel dans l’enceinte de l’hôtel de Bernis, assurance qui n’est confortée par aucune mention d’archive. Qu’il soit bien clair, au demeurant, que les données historiques ne laissent pas le moindre doute sur la présence d’une synagogue à Lunel, ainsi que de l’ensemble des aménagements nécessaires au plein excercice du culte. Animée par des rabbins de renom aux XIIe et XIIIe s., célébrée par Benjamin de Tudèle en 1165, cette synagogue n’est cependant pas mentionnée de façon explicite avant la fin du XIVe s. dans le premier compoix de la ville, registre d’imposition des habitants. Expulsée du royaume un siècle plus tôt, la population juive n’apparaît pas dans ce document où l’on trouve cependant la mention de « l’escolo dels juis » qui désigne sans discussion la synagogue... sans donner le moindre indice permettant de la localiser.
Faute de document médiéval, la première localisation de la synagogue est donnée en 1822 par Emile Roüet dans son Essai sur la topographie physique et médicale de Lunel où il note : « Il n’existe pas à Lunel de monumens (sic) curieux et qui soient dignes d’être notés. On y voyait encore naguère des débris de l’ancienne école des Juifs ; ils ont été remplacés par une très belle maison, appartenant à M. de Bernis » (Roüet 1822, 23). Un demi-siècle plus tard, l’abbé A. Roüet reprend et précise la localisation donnée par son oncle : « ... l’on trouve à peine quelques vestiges de l’emplacement de la Synagogue dans l’ancien hôtel de Bernis, appartenant aujourd’hui à M. David Bouzanquet. On sait seulement que le cimetière des Juifs était situé sur le chemin du Mas Desports, à cinq cent mètres de la ville, en sortant par la porte Séguin » (Roüet 1878, 77 ; fig. 8).
Sur le plan schématique qui acompagne ces observations, Roüet localise l’ancienne synagogue dans un bâtiment perpendiculaire à la rue Ménard, alors que le bâtiment que nous analyserons reste parallèle à cette rue.
Millerot reprend et nuance la localisation : « Les restes de la synagogue de Lunel se voient encore, d’après une ancienne tradition locale, au bas de la rue actuelle Alphonse Ménard, et forment une dépendance de l’ancien hôtel de Bernis » (1891, 27, note 2).
De citation en citation, la même localisation est reprise sans élément nouveau (Imbert et Baille 1989, 73) ou complétée par un commentaire architectural dans la dernière étude qui, sans emporter l’adhésion, propose même d’identifier une seconde synagogue (Brotons 1997, 73-81 et 157-183). Si la localisation reste bien ancrée, on note par contre au fil des ouvrages, un glissement de la description qui mentionne d’abord des débris jadis visibles (Roüet 1822), puis des vestiges ou des restes qui se voient encore (Roüet 1878 ; Millerot 1891), dans une transmission de la tradition qui paradoxalement, se fait plus précise avec le temps.
La localisation de la synagogue médiévale n’est évidemment pas une fin en soi mais il importe de la préciser afin de comprendre l’organisation de la communauté juive qui représentait près de 250 personnes vers la fin du XIIIe s., soit 5 % de la population lunelloise. Cette communauté était-elle éparse ou groupée dans un quartier juif ? Où et comment l’autorité seigneuriale avait-elle organisé l’insertion du peuplement juif dans la ville ? On verra que, envisagé dans l’autre sens, ce rapport au château seigneurial donne un certain crédit à la localisation rue Ménard, un certain crédit seulement.
Notons encore que, autant par sa qualité technique que par la singularité de son plan, l’édifice a aussi suscité l’intérêt d’un étudiant en architecture qui en a dressé l’analyse détaillée à laquelle nous empruntons les plans et coupes soignés, après en avoir vérifié la précision (Salatti 1996). A la même période, le bâtiment faisait l’objet d’un projet de réaménagement qui permit de dégager les murs de leurs enduits modernes, circonstance mise à profit par X. Renard pour conduire une analyse détaillée du bâtiment et de ses abords, dans une note apparemment restée inédite mais conservée dans les archives de M. Figère.
L’analyse archéologique ouvrirait-elle une autre piste, comme elle le fait si bien pour localiser un château ruiné ou une église détruite ? En réalité, on ne peut attendre de réponse ferme en ce sens, du simple fait que le culte juif ne nécessite aucun aménagement liturgique, aucune disposition particulière du bâtiment, qui pouvait être voué à une tout autre fonction avant d’accueillir la synagogue, et en changer encore une fois le culte déplacé. En définitive, c’est plus probablement aux abords de l’édifice qu’il conviendrait de chercher les éléments d’identification du culte, mikvé, boulangerie et boucherie rituelles..., ce qui ne facilite pas la tâche mais ne doit pas non plus l’interdire.
Un plan élémentaire
Le bâtiment qualifié de synagogue est inséré dans un ensemble de bâtiments qui composent l’aile orientale de l’hôtel de Bernis. Visible depuis la rue, à l’est, ainsi que du jardin, au sud, l’édifice (fig. 9, bâtiment A) l’est beaucoup moins depuis l’ouest où un vaste bâtiment agricole (bâtiment C : écurie, grange ?) occupe l’espace intermédiaire entre la demeure classique et le bâti médiéval. On accède à ce local par un large couloir (pièce B) dont la paroi est laisse voir partiellement l’appareil du bâtiment médiéval, masqué à sa partie supérieure par une voûte en berceau de maçonnerie en petits moellons tout venant, bâtie en applique contre le mur médiéval à une période difficile à préciser mais probablement avant les remaniements du XVIIIe s. Passé le couloir, s’ouvre l’espace C couvert par d’amples voûtes d’arêtes en pierre de taille, qui s’adossent
Fig. 9. « Synagogue » ; plan du rez-de-chaussée et bâtiments adjacents (d’après Salatti 1996)
à l’ouest contre l’hôtel de Bernis et à l’est contre le bâtiment médiéval dont l’appareil reste visible, bien que partiellement couvert par un enduit à la chaux moderne. Au nord se développent les bâtiments d’une cave vinicole apercevoir quelques éléments de la construction médiévale sur le parement extérieur des murs nord et est du bâtiment A. Les enduits au ciment du bâtiment F laissent aussi apparaître partiellement, sur le mur mitoyen avec le bâtiment L, un parement très soigné quoique moins régulier, laissant soupçonner la présence d’autres constructions médiévales. Notons enfin la présence d’un puits dans l’étroit couloir qui sépare les dépendances de l’hôtel (fig. 9, H). Ce puits d’une dizaine de mètres de profondeur, a fait l’objet de spéculations sur la présence d’un bain rituel juif voisin de la « synagogue », mais le cuvelage carré du conduit reste difficile à dater et nécessiterait une étude détaillée. Une conduite monolithe faisant saillie dans le puits, traversait le mur pour distribuer l’eau vers la salle C où elle alimentait peut-être un petit bassin dont l’encadrement de pierre est décrit par X. Renard.
Longtemps utilisés comme dépendances agricoles, ces bâtiments ont fait l’objet de travaux de réaménagement au cours des années 1990 concernant le revêtement des sols du rez-de-chaussée et la création d’un appartement à l’étage.
Au sein de ce bâti composite, le bâtiment A s’individualise par la régularité de sa maçonnerie ainsi que par la rigueur géométrique de son plan, un rectangle de 16,80 m du nord au sud pour 7,40 m de largeur, hors oeuvre, soit une surface en oeuvre de 85,5 m2. Ce plan élémentaire, plusieurs fois subdivisé par la suite, ne livre nulle trace de mur de refend d’origine, ce qui n’exclut pas cependant des divisions en matériaux périssables. En hauteur non plus, nulle observation ne permet de restituer une division par une voûte ou un plancher. Cette absence de division apparaît particulièrement sur le parement interne du mur nord, qui autorise la plus large observation jusqu’à la charpente moderne et a révélé un trou de boulin bouché au mortier, mais il est vrai qu’une voûte en applique contre ce mur n’aurait pas obligatoirement laissé de traces d’accroche. De même, l’absence des sommiers d’une voûte en berceau, ou encore des trous d’ancrage d’un plancher sur solives sur les murs gouttereaux, pourrait aussi s’expliquer par les travaux du voûtement moderne en anse de panier. L’analyse des maçonneries et des baies permet d’affiner l’approche.
Fig. 10. « Synagogue » médiévale, façade sur la rue Alphonse Ménard.
Une construction soignée
Le bâtiment A correspond à ce que l’on nomme la « synagogue » que nous mentionnons entre guillemets afin de conserver le caractère hypothétique de son identification. Il retient l’attention par la singularité de son mode de construction. La façade sur la rue Alphonse Ménard s’impose en effet par la régularité et le soin apportés à la réalisation de l’appareil en moellons de calcaire marneux beige à gris, dont les faces apparentes portent les impacts obliques de marteau taillant. Les assises obéissent chacune à une épaisseur constante qui rythme les parements, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’édifice (fig. 10). Leur épaisseur est de 10, 15 ou 20 cm, et jusqu’à 40 cm pour deux assises basses disposées en délit et de ce fait plus exposées à l’érosion que les assises en boutisse. La façade sur la rue Ménard révèle une série horizontale de cinq trous de boulin à 4,5 m au-dessus du niveau de la chaussée, régulièrement espacés de 2,80 à 3 mètres. Sans constituer un classique appareil alterné du type « appareil de Montpellier », ces parements frappent le regard par leur rigoureuse linéarité sur les 16,70 m de la façade sur rue, ainsi que par la finesse des joints, dont l’épaisseur n’excède jamais 0,5 cm. Quoique partiellement masquée ou interrompue par les ouvertures en sous-oeuvre et les aménagements modernes, portes, fenêtres et escalier, la même rigueur ordonne les façades sud, ouest et nord, cette dernière en grande partie masquée par un enduit moderne, ainsi que les parements intérieurs.
D’une épaisseur régulière de 0,81 à 0,83 m, les murs sont liés par un mortier de chaux et sable gris clair à blanc. Avec le soin apporté à la régularité des moellons, l’absence d’enduit sur une large part des surfaces visibles donne sentiment d’un état d’origine en « pierre apparente ». On observe par contre fréquemment sur les parements intérieurs, des joints débordants écrasés et tracés à la pointe sur mortier frais (fig. 11). Hormis l’enduit de mortier de chaux des remaniements tardifs, aucune trace d’enduit ancien n’a été décelée.
Peu d’ouvertures
Seules deux ouvertures d’origine peuvent être identifiées mais d’autres pouvaient exister que les multiples ouvertures modernes, réalisées en sous-oeuvre à plusieurs périodes, auraient fait disparaître.
Une seule baie donne accès au rez-de-chaussée. Il s’agit d’une grande porte de 2 m de large pour 5,70 m de hauteur environ, s’ouvrant au milieu du mur occidental, à égale distance des angles sud et nord, 5,70 m. Les transformations du XVIIe ou XVIIIe s. ont remanié la partie supérieure de la porte dont l’arc en plein cintre a été déposé du côté extérieur lors de l’édification de la voûte d’arête du bâtiment C, et remplacé du côté intérieur par un linteau en arc segmentaire qui participe au voûtement du bâtiment A. Côté extérieur, la voûte moderne s’appuie sur le parement d’origine sans le masquer totalement, de sorte que l’on identifie sans peine le négatif du cintre, sans toutefois pouvoir dire s’il s’agissait d’une ouverture voûtée ou, plus probablement, d’un arc de décharge au -d’un linteau monolithe (fig. 12).
Ces spoliations et remaniements n’ont cependant pas altéré les piédroits de la porte, munis d’une profonde feuillure pour la butée de la porte à deux vantaux dont plusieurs gonds, probablement modernes, subsistent de chaque côté. S’ouvrant vers l’intérieur, cette porte se fermait par un trou de barre de 19 par 12,8 cm de section et profond de près de 3 mètres dans l’épaisseur du mur. Enfin, si le sol ancien n’est plus visible, une pierre de seuil demeure partiellement en place.
L’ensemble de ces observations autorise à restituer une imposante ouverture, d’un gabarit et d’une puissance bien supérieurs à ceux d’une porte d’habitation et comparables à ceux d’une église ou d’un édifice castral.
Une petite baie s’ouvre dans l’axe médian du mur pignon nord au niveau supérieur, 6,5 m au-dessus du niveau actuel de la rue, sans que l’on puisse préciser l’élévation initiale de l’édifice. Bouchée et masquée par les enduits modernes, elle a été rouverte lors des travaux d’aménagement. L’ouverture extérieure, large de 20,5 cm pour 1,1 m de hauteur, est encadrée de moellons de calcaire tendre blanc soigneusement taillés, reposant à la base, faute d’appui, sur une arase de moellons de parement, et portant un linteau monolithe à découpe semi-circulaire, sur le modèle d’une ouverture du premier art roman (fig. 13). Un enduit de plâtre masque l’insertion de la baie dans la maçonnerie, ce que montre au contraire la face intérieure. Fortement ébrasée vers l’intérieur, l’ouverture s’élargit à 0,55 m pour une hauteur de 1,28 m. Taillés dans le même calcaire blanc de bonne densité (pierre de Saint-Geniès-des-Mourgues ?), les piédroits reposent sur la même arase de moellons qu’à l’extérieur et portent un arc plein cintre comportant quatre voûtains (fig. 14). Resté bien visible sur cette face, le parement du mur montre la pleine insertion de la baie dans les assises régulières de la maçonnerie d’origine, où s’intercalent seulement quelques moellons de calcaire blanc, ajustés au module de deux assises. Conservé en l’état jusqu’à mi-hauteur du cintre, le mur accuse au-dessus une reconstruction maladroite à partir de moellons de réemploi disposés en assises irrégulières à joints épais, jusqu’à la charpente moderne.
Deux autres baies d’allure semblable à la précédente sont décrites par X. Renard et partiellement visibles sur des photos de l’époque du décroûtage des murs, s’ouvraient dans le mur gouttereau ouest, complétant l’éclairage du logis occupant l’étage. Elles sont masquées par les enduits récents.
La conception des deux baies d’origine et peut-être des deux fenêtres masquées à l’étage, invite à situer leur réalisation au XIIe ou XIIIe siècle, en accord avec l’ensemble de la construction. Les particularités des ouvertures conservées invitent par ailleurs à s’interroger sur la distribution générale des baies. Sans écarter l’idée de baies d’origine détruites par le percement des ouvertures modernes, on peut toutefois affirmer que le mur occidental, conservé dans son état initial jusqu’à l’étage, ne comporte au rez-de-chaussée aucune autre ouverture que la porte, de même que le pignon nord où seule s’ouvre une baie axiale à l’étage. Les seules incertitudes concernent le pignon sud, percé par plusieurs baies modernes, ainsi que le gouttereau est donnant sur la rue, où la possibilité d’ouvertures disparues reste toutefois limitée à de petites baies qui avaient peu de chances de voir subsister un élément de jambage ou de linteau. De façon plus hypothétique, si l’on retient le principe de disposition axiale ou médiane qui a guidé l’implantation de la porte occidentale et de la baie nord, on peut supposer que le pignon sud était également percé d’une baie unique à l’étage, tandis que le mur gouttereau sur rue ne comportait aucune ouverture, sauf peut-être dans une partie sommitale disparue.
Fig. 13. « Synagogue » ; baie axiale du pignon nord, face externe (cl. Cl. Raynaud).
Fig. 14. « Synagogue » ; baie axiale du pignon nord, face interne lors des travaux (cl. de Crécy).
Une synagogue, peut-être, mais avant... ?
On se trouve au final face à un édifice médiéval solidement bâti pour porter une élévation conséquente, relativement vaste et d’un seul tenant, faiblement ajouré sur deux ou trois faces seulement et seulement à l’étage, probablement aveugle du côté de la rue et doté d’une unique mais imposante porte à l’ouest. Ceci pose la question de la fonction et de l’usage d’un bâtiment où l’on ne distingue aucun élément d’habitat civil et où s’affirme au contraire une vocation défensive. La position centrale au sein de la première enceinte urbaine, de même que le voisinage de l’ancien castrum, avec lequel l’édifice A encadrait l’ancienne rue de la Calade, axe cardinal de la ville médiévale, sont autant d’éléments qui confortent la lecture architecturale.
Ces observations vont dans le sens d’une fonction première liée à l’organisation seigneuriale du castrum de Lunel. Par sa construction soignée, par sa hauteur et son plan élémentaire (16,80 x 7,40 m, rapport 2,27) ainsi que par la distribution des ouvertures, le bâtiment appelle des comparaisons avec les « maisons privilégiées » bâties aux XIe-XIIIe s. dans de nombreux castra, par exemple à Allègre (Gard) ou Aumelas (Hérault), dont les demeures seigneuriales adoptent des proportions analogues dans un rapport longueur-largeur de l’ordre de 2,2 à 2,8, et utilisent la pierre locale au mieux de ses capacités pour dresser des parements comparables à la maçonnerie de Lunel (Aspord 2000, 101-124 ; Schneider 1996, 157-160). Ce type d’édifice, largement répandu dans les régions méditerranéennes, pourrait correspondre au solarium mentionné dans les textes languedociens à partir de la fin du Xe s. ou à la domus solarata recensée en Italie au XIIIe s. (ibid., 157). On le trouve souvent partie prenante du premier état des castra, tel l’ostal de l’Ychayrie à Puy-l’Evêque (Lot), qui empruntait avant les modifications du bas Moyen Age, le même plan élémentaire ainsi qu’une distribution analogue (Séraphin 2002).
Si bien des traits, notamment la rareté des ouvertures et le plan élémentaire de l’édifice, appellent l’hypothèse d’une tour-demeure de chevalier, la présence d’une porte de plain-pied et l’ampleur du volume disponible au rez-de-chaussée, invitent cependant à envisager aussi, ou de façon alternative, une fonction de stockage pour des denrées bien gardées derrière la porte massive. Lorsque l’on sait l’importance du transit du sel pour la seigneurie de Lunel au Moyen Age, on peut être tenté d’envisager un grenier à sel, hypothèse de bon sens qui reste difficile à démontrer (Dupont 1968).
En revanche, l’étude se heurte à l’obstacle attendu concernant l’identification de la synagogue, toujours difficile en l’absence d’aménagement liturgique lié au culte hébraïque, qui ne nécessite nulle disposition spécifique. Si rien ne s’oppose à ce que tout ou partie de l’édifice, acquis par la communauté juive ou alloué par son propriétaire, ait accueilli la synagogue, cet usage fut second dans un édifice initialement conçu pour une tout autre fonction. Bien évidemment, l’impossibilité de dégager le ou les sols médiévaux, recouverts par les aménagements modernes, ne facilite pas l’interprétation qui doit rester ouverte.
Premier remaniement au XVe siècle ?
La rigoureuse ordonnance de l’appareil, que l’on observe sur près de 6 m d’élévation sur chacune des façades, est altérée par une surélévation de l’ordre de 1 m sur le mur gouttereau est qui borde la rue Ménard, et sur près de 3 m sur le gouttereau ouest, à mi-pente de la toiture moderne. Cette partie présente un appareil de parpaings en calcaire tendre blanc de plus grand module que la partie inférieure, disposés alternativement en carreau et en boutisse, sur le mode dit « appareil de montpellier ». Une vue intérieure prise lors des travaux d’aménagement des années 1990, permet de préciser que ce réhaussement n’intervient pas sur une arase horizontale, comme on le voit depuis la rue, mais au contraire sur un édifice partiellement et irrégulièrement démantelé à son sommet, le parement interne de la façade sur rue (fig. 15, partie droite) étant rebâtie sur près de 2 m tandis que le pignon nord (partie gauche avec vue partielle de l’encadrement de la baie axiale) apparaît conservé 3 m plus haut.
Cette mise en oeuvre, déjà pratiquée à la période hellénistique, est particulièrement répandue dans la construction des églises du second art roman aux XIIe et XIIIe s. en bas Languedoc (Bessac, Pécourt 1995). Longtemps utilisée par la suite, cette technique permet de situer la surélévation de
l’édifice entre la fin du Moyen Age et le XVIe s ., tandis que les fenêtres rectangulaires qui la percent sont à situer plutôt au XIXe ou au début du XXe s. (fig. 9).
Une autre ouverture à l’étage, met en communication les bâtiments A et C, assez exactement au dessus de la grande porte du rez-de-chaussée. Cette ouverture, dans un mur où l’on retrouve l’épaisseur de 0,82 cm du bâti initial, présente sur sa face occidentale, extérieure au bâtiment A, un encadrement chanfreiné à linteau délardé et écoinçons évidés, éléments d’inspiration flamboyante attribuables à la fin du XVe s. (fig. 17). Par contre sa face interne a reçu un encadrement à linteau en arc segmentaire caractéristique, comme le calcaire jaune employé, des réaménagements contemporains ou consécutifs à la construction de l’hôtel. La structure du mur étant masquée par les enduits sur les deux faces, il est difficile d’interpréter cette ouverture composite mais partiellement datable de la fin du Moyen Age : remploi ou élément en place remanié postérieurement ? Située au-dessus des voûtes d’arête du bâtiment C, la porte flamboyante
Fig. 16. « Synagogue » ; plan de l’étage et bâtiments adjacents (d’après Salatti 1996).
connaît la même « accommodation » que la grande porte du rez-de-chaussée qui elle aussi se voit doublée sur sa face interne par un linteau en arc segmentaire, lors de l’entreprise d’unification du bâti liée à la construction de l’hôtel de Bernis. On est donc tenté de supposer qu’il s’agit bien d’une ouverture tardo médiévale, ouvrant sur un bâtiment disparu ou bien sur un espace découvert, ce qui imposerait d’envisager un escalier extérieur, en applique contre la façade ouest du bâtiment A.
D’une lecture difficile faute de visibilité des maçonneries, cet état intermédiaire entre l’édifice roman et les constructions classiques, bénéficie toutefois d’autres éléments, particulièrement la surélévation-restauration en appareil de Montpellier, décrite plus haut, ainsi que la présence d’une fenêtre à meneau partiellement visible avant les travaux sur le pignon sud mais pour laquelle nous ne disposons pas de cliché. On peut cependant retenir l’idée d’une remise en état (ou de la création ?) d’un logis situé à l’étage de la « synagogue ».
Fig. 17. « Synagogue » ; porte à chanfrein et linteau délardé (cl. Cl. Raynaud).
Second remaniement au XVIIIe siècle
La date de construction de l’hôtel de Bernis reste mal cernée, entre la fin du XVIIe s. comme le note M. Figère, et le courant du XVIIIe s. comme certains détails architecturaux le suggèrent à J.-L. Vayssettes. Le plan-terrier des années 1780, si détaillé soit-il, n’aide guère à préciser ce point, mentionnant sur les parcelles concernées des « maisons, écuries, cour et paillère à M. le Comte de Bernis ». L’hôtel n’est pas nommé mais cette lacune concerne l’ensemble du document, qui utilise toujours le terme de maison pour désigner les demeures et hôtels de la ville. Sans attendre une analyse stylistique plus poussée ainsi qu’une recherche en archives qui permettront ultérieurement de préciser la datation, notons d’emblée que ce chantier modifie radicalement la physionomie de l’îlot, tant dans ses parties bâties que non bâties.
Le projet d’un hôtel aristocratique ne se résume pas à la construction d’un bâtiment, il entend aussi et peut être avant tout procéder à la mise en ordre de l’espace urbain, où l’occupation, la vision et jusqu’à la circulation seront désormais commandées par la présence de la demeure. La difficile insertion d’un bâtiment aussi ample dans l’urbanisme ancien, se traduit notamment par le décentrement de la porte principale, encadrée par deux ailes disymétriques (fig. 5). La plus large extension vers l’ouest s’explique par l’absence de construction antérieure en confront de la rue de la Senche (actuelle rue des Arts), ou par leur rasement préalable. A l’est au contraire, le projet doit composer avec six habitations privées confrontant la rue de la Calade ainsi qu’avec le bâtiment médiéval de la « synagogue » qui, à la différence des maisons voisines, appartient à la famille de Bernis (fig. 7).
S’il n’y a pas lieu d’analyser ici la construction de l’hôtel, on doit s’arrêter sur la façon dont la demeure s’insère dans la trame préexistante. Depuis la façade principale de l’hôtel, au nord, deux ailes font retour vers le nord et encadrent le jardin dans une symétrie aujourd’hui altérée par des bâtiments de la fin du XIXe s. (fig. 6). A la différence de l’aile ouest, qui forme une véritable extension de l’hôtel, l’aile est ne prolonge qu’en apparence la demeure. Tout en se pliant à l’ordonnance générale avec un portail appareillé en filet de chambranle surmonté d’une fenêtre à linteau en arc segmentaire, la façade de cette aile ouvre sur un étroit bâtiment triangulaire, peut-être jadis une écurie qui abrite aujourd’hui la chaufferie de l’immeuble (fig. 9, espace I). Il s’agit en réalité d’un espace tampon destiné à réaliser la greffe de l’hôtel sur le bâti ancien. Par un autre portail placé en vis-à-vis du précédent mais aujourd’hui muré, on accédait à une cour intérieure (fig. 9, espace D), distribuant les bâtiments annexes E et peut-être F, à l’est, ainsi que les
bâtiments C et B, au sud, qui comme on l’a vu précédemment, encadrent et s’adossent au bâtiment A, supposée synagogue.
On a déjà souligné l’ampleur de l’espace C, grange ou écurie dont les voûtes d’arrête en anse de panier enjambent sur 8 m de large l’espace entre l’hôtel, à l’ouest (fig. 9, H) et la « synagogue » à l’est. Portées par des sommiers et par un pilier engagés dans la maçonnerie médiévale, ces voûtes sont réalisées dans un calcaire jaune à gros grain, pierre d’Aubais ou de Beaucaire, absente dans les maçonneries antérieures et qui par contre, constitue une caractéristique du chantier de l’hôtel de Bernis. Portes, portails, fenêtres, voûtes, pavillons d’entrée, piliers : toute la construction du XVIIe ou XVIIIe s. obéit à la règle de l’arc segmentaire en parpaing de calcaire tendre jaune.
La « synagogue » n’échappe pas à cette entreprise d’unification architecturale. Outre la réfection de la grande porte romane, dont le linteau et l’arc de décharge en plein cintre sont démantelés, et qui reçoit un nouvel arc –segmentaire, en pierre jaune- sur sa face interne, sont ouvertes deux portes au rez de chaussée, l’une sur la rue près de l’angle nord-est, l’autre sur le pignon sud, ainsi qu’une baie au-dessus (fig. 9). Une seconde fenêtre, murée depuis, fut probablement ouverte à ce moment mais on ne peut la dater précisément, son linteau étant démantelé par une nouvelle ouverture au XIXe s. La reprise est plus radicale en ce qui concerne le voûtement de la salle du bas, dont la voûte ou le plancher ancien – aucun indice ne permet de trancher – est remplacé par une voûte en maçonnerie coffrée et portée par trois arcs en anse de panier dont les sommiers sont engagés en sous-oeuvre dans la maçonnerie médiévale (fig. 18, coupe fig. 19).
Fig. 19. Coupe est-ouest entre la rue Ménard et le bâtiment C (d’après Salatti 1996).
Fig. 20. Plan du sous-sol D’ (d’après Salatti 1996).
Réaménagements au XIXe siècle
Après les transformations contemporaines ou consécutives de la construction de l’hôtel, le bâtiment médiéval connaît une nouvelle intervention. Quatre fenêtres rectangulaires sont ouvertes à l’étage, trois donnant sur la rue à l’est, la quatrième sur la cour au sud. Trois portes de même format sont ouvertes probablement au même moment au rez-de-chaussée, l’une sur la cour sud, deux autres sur la rue, aujourd’hui murées.
La forme de ces ouvertures invite à les attribuer à un chantier du milieu ou de la fin du XIXe s. C’est peut-être aussi à ce chantier qu’il faut attribuer un escalier droit sans limon, engagé dans le pignon nord près de l’angle nord-est. C’est dans cet état que l’ont trouvé les travaux de réaménagement entrepris au cours des années 1990.
1.1.2. Une installation vinicole
Au nord du bâtiment A, les pièces D/D’, E et F constituent un ensemble vinicole auquel on accédait depuis la cour nord de l’hôtel, en empruntant le portail de l’ancienne écurie ( ?) de l’aile est (fig. 9, pièce I). La pièce D, aveugle, ouvrait initialement sur la pièce I par un portail aujourd’hui muré en parpaings de ciment au mâchefer, ce qui signe sa condamnation vers la fin du XIXe ou le début du XXe s. Probable espace de pressage, cette pièce enclavée communique avec les pièces E et F qui abritent chacune deux cuves de 7,5 à 10 m2 pour 3 m de profondeur dont 1,3 m sous le niveau de la rue, sur laquelle elles prennent jour par quatre fenêtres rectangulaires (fig. 9). De par leur grande contenance ainsi que leur habillage interne en carreaux glaçurés ocre et jaune et l’utilisation d’un mortier de ciment et mâchefer, ces cuves, comme l’ensemble de l’installation, peuvent être mises en relation avec le développement viticole du dernier tiers du XIXe s.
Cette fourchette chronologique ainsi que la similitude des fenêtres ouvertes à l’étage de la « synagogue » avec celles de la cuverie, invitent à mettre en relation l’ensemble des remaniements avec l’activité vinicole dont le floruit suscitait d’amples transformations dans l’habitat du bas Languedoc. Inséré vaille que vaille dans un bâti antérieur, cet équipement atteindrait bientôt la limite de son efficacité. La fermeture du portail d’accès, à l’ouest, scella l’abandon de l’installation, peut-être entre la Grande Guerre et les années 1930, lorsque le triomphe de la cave coopérative rendit obsolète la plupart des caves privées, exigües et mal équipées pour traiter une production sans cesse croissante.
1.1.3. Une pièce souterraine : cuve, cave, citerne ou glacière ?
A cette installation vinicole relativement courante, s’ajoute un élément plus surprenant. Sous la pièce D on accède par un escalier à une pièce souterraine D’ qui reprend la taille de la pièce D moins l’emprise de l’escalier, soit un rectangle de 6,30 par 5,05 m en oeuvre (fig. 20). Le sol, pavé de carreaux de terre cuite (0,21 m), se trouve 2,60 m sous le sol de la pièce D et 2,15 m sous le niveau de la rue (fig. 21). La pièce est couverte par une voûte en anse de panier, intégralement bâtie en calcaire jaune dont on a noté l’omniprésence dans les constructions liées à l’hôtel de Bernis (fig. 22). Un muret de 0,75 m de hauteur pour 0,30 m d’épaisseur, court tout autour de la pièce, masquant la retombée de la voûte ; un épais enduit d’étanchéité au ciment gris (2 à 8 cm) recouvre uniformément ces murets ainsi que le départ de la voûte et la partie inférieure de l’escalier sur une hauteur de 0,88 à 0,95 m. Deux étroits soupiraux s’ouvrant dans la paroi ouest, assuraient un faible éclairage ainsi qu’une ventilation.
On note enfin, disposée à 0,60 m de la paroi nord, une rangée de gros parpaings de calcaire jaune, posés à même le sol carrelé sans liant ni enduit ; d’autres parpaings, en nombre égal mais dispersés dans la pièce, pouvaient constituer une seconde rangée.
Faute d’aménagement spécifique identifiable, la fonction de cette pièce est difficile à déterminer. La proximité de la « synagogue » avait suggéré l’idée d’une boulangerie rituelle juive, la production du pain devant être garantie par le rabbin. Une telle hypothèse se heurte toutefois à un double écueil : d’une part l’absence de conduit de cheminée, d’autre part la date de construction nettement postérieure au Moyen Age et marquée du sceau des constructions classiques, l’arc segmentaire et le calcaire jaune. Les éléments de la voûte, des cairons standardisés (52 à 54 cm x 17 à 19 cm), furent largement utilisés durant le XIXe s., ce qui ouvre une marge d’incertitude pour la date de construction. Les réfections et l’enduit appellent pour leur part un datation à partir du second Empire, début de la production du ciment industriel.
Relevant d’autres interprétations traditionnelles telles que bain rituel ou salle de l’école de médecine, X. Renard soulignait déjà la contradiction entre de telles hypothèses et la datation tardive des maçonneries. Il avançait pour sa part l’idée d’une « cave prison », sans autre argument que la puissance de la porte qui ferme la pièce. Cet auteur nourrissait le légendaire qui entoure ce bâtiment en notant : « On parle également de la présence dans cette cave d’une table de pierre, de dimensions si grandes (pour des dissections ?!...) que la cave aurait été nécessairement construite autour et après. Table qui aurait disparu, mais alors que l’on dit tant de chose sur cette table on ne sait rien sur sa disparition ! Légende ?... ».
Fig. 21. Coupe nord-sud entre la cour et le bâtiment D/D’ (d’après Salatti 1996).
L’étude architecturale initiale avait par contre envisagé une fonction vinicole, replaçant la pièce dans la chaîne de traitement du raisin. Entre le pressage réalisé au rez-de-chaussée dans la pièce D, et les cuves de vinification des pièces E et F, la pièce souterraine D’ formerait la cuve de recueil du jus de presse, s’écoulant depuis le ou les pressoirs par un petit orifice de 5,5 cm de diamètre ménagé au centre géométrique de la voûte. Ainsi s’expliquerait le soin apporté à l’étanchéité des parois, de la partie inférieure de l’escalier et du sol de la pièce au moyen du carrelage et de l’épais enduit de ciment (Salatti 1990, n.p.). Depuis la cuve souterraine, ventilée par les soupirails et la cage d’escalier, le moût pouvait ensuite être pompé vers les cuves de vinification par une large fenêtre ouvrant au-dessus de l’accès à la pièce souterraine. L’absence de cuvette surcreusée, aménagement destiné à faciliter le pompage, était compensée par la légère déclivité du carrelage vers l’entrée de la pièce D’, où le moût pouvait achever de s’écouler.
L’encaissement de la pièce en sous-sol permettait de limiter l’un des principaux périls de l’ancienne vinification, celui de l’échauffement du moût qui tourne au vinaigre. Cependant, l’ampleur de la pièce et sa contenance (32 m3) pourraient faire douter de l’efficacité du pompage. On pourrait donc envisager une autre cuve de recueil, invisible dans l’état actuel des locaux, et une utilisation du sous-sol comme cave de vieillissement en barriques. La double rangée de parpaings sur le sol de la pièce va en effet dans ce sens mais se pose un problème plus aigu concernant la descente et la remontée des barriques par une cage d’escalier large de 1 m et fermée par une porte de 0,90 m : mission difficile, qui affaiblit l’hypothèse.
Fig. 22. Vue de la pièce souterraine D’, au fond s’ouvrent deux soupiraux (cl. Cl. Raynaud).
Une citerne ou une glacière du XVIIIe siècle ?
Si les maçonneries visibles ne laissent guère de doute quant à la période récente de construction de la salle, la question de niveaux ou de maçonneries antérieurs se poset relativement à l’ancienneté du bâtiment voisin. Pour tenter d’y répondre nous avons pratiqué un sondage de 4 m2 au pied de l’escalier. Après la dépose du carrelage de terre cuite, le sondage s’est rapidement réduit à 1 m2 en raison de l’extrême densité d’un remblaiement massif composé de gros galets siliceux de Costière noyés dans un béton au ciment à mâchefer. Ce béton destiné à surélever le sol initial, n’a pu être que difficilement percé à l’aide d’un marteau pneumatique de 40 kg, ce qui interdisait toute velléité d’extension de la fouille. Sous 0,83 m de béton, le sondage a permis d’atteindre le paléosol limono-argileux en place, vierge de tout vestige sur les 20 cm2 observables ! Malgré cette réduction drastique des observations, le sondage permet de résoudre l’apparente contradiction opposant la voûte de la pièce, que sa technique invitait à attribuer à la phase de construction de l’hôtel au XVIIe ou XVIIIe s., et l’utilisation du ciment gris pour les enduits d’étanchéité, d’un bon siècle plus tardifs. Il y a donc bien deux états et l’usage du ciment apparaît lié à la transformation d’une salle initialement plus profonde de près d’un mètre.
Privée d’étanchéité mais augmentée d’un gros tiers de son volume pour atteindre près de 100 m3, la salle souterraine appelle une autre interprétation que celle de cuve, dans un environnement où la vinification ne revêtait pas la même ampleur qu’au XXe s. Si l’impossibilité de pratiquer un véritable sondage nous interdit de qualifier son aménagement initial, le volume restitué, la position souterraine, l’inscription de la salle entre des bâtiments préexistants (A, E, F, L) ou nouvellement bâtis (C, H, I) lui confèrent de singulières dispositions. Abrité du soleil, encaissé entre les dépendances d’une demeure aristocratique, le sous-sol réunit les conditions favorables à la conservation des denrées à l’abri et au frais. On peut donc envisager l’hypothèse d’une glacière, construite au XVIIe ou XVIIIe s. à l’usage de l’hôtel de Bernis. La morphologie en tunnel de la pièce n’entre certes pas dans le modèle à coupole le plus connu, mais l’absence de recherches ne permet guère d’aller au-delà de cas particulier qui ne peuvent tenir lieu de typologie. L’hypothèse d’une citerne pourrait aussi être avancée sans plus de certitude.
Fig. 23. Sondage dans la pièce souterraine D’ (cl. Cl. Raynaud).
1.1.3. Les sondages du jardin Médard
Accès principal de l’hôtel de Bernis au XVIIIe s., la cour nord couvre près de 750 m2. Partiellement envahi par des bâtiments vinicoles à la fin du XIXe s., cet espace a alors été fractionné en jardins, à l’instar de la division de l’hôtel en appartements locatifs. C’est à l’occasion de cet épisode, qui prit fin avec la reprise en main de l’ensemble par la famille Figère, que la cour nord reçut le nom de « jardin Médard » encore connu des Lunellois.
Après avoir constaté l’impossibilité de pratiquer des sondages dans et autour de la « synagogue », il restait possible de pratiquer d’autres sondages dans le « jardin Médard ». Afin de ne pas gêner le passage et le garage des véhicules, nous avons pratiqué trois tranchées de 1 m de large pour 2 à 4 m de longueur. Contigües, ces tranchées composent en réalité un même sondage qui se développe en L sur 11 m2 au total (fig. 24). Si le sondage 2 a dû être interrompu à mi-profondeur en raison du passage d’une conduite d’eau, les sondages 3 et 4 ont pu être conduits jusqu’au paléosol et au taparas qui constitue le substrat de la plaine lunelloise.
Présentant la même stratigraphie, les trois tranchées sont décrites ensemble en établissant les équivalences entre unités stratigraphiques des sondages 3 et 4 lorsqu’il y a des décalages.
Fig. 24. Localisation des sondages dans le « jardin Médard », cour nord de l’hôtel de Bernis.
Sol 0 : sol actuel de terre noirâtre compactée comportant de nombreux artefacts contemporains (épaisseur 0,10 m).
Couche 1 : terre arable limoneuse contenant quelques petits cailloux et de nombreux tessons de céramiques des XIX-XXe s. ; très usés, ces tessons ainsi que l’homogénéité du sédiment, témoignent d’une accumulation de fumures dans le « jardin Médard » (épaisseur 0,25 m).
Sol 2 : carrelage et remblai de béton du sondage 1 dans la salle souterraine (épaisseur 0,85 m).
Tranchée 3 : tranchée d’aduction d’eau de 0,60 m de largeur, traversant l’ensemble du sondage 2 qui est alors interrompu.
Couche 4 : limon meuble analogue à la couche 1, sans césure mais devenant plus clair vers le bas. Le changement de couche est fixé arbitrairement à – 0,32 / 0,35 m lorsque les fragments de poterie deviennent plus abondants, moins fragmentés et en majorité de typologie médiévale (épaisseur 0,30 à 0,35 m).
Un quart de denier de Charles Emmanuel de Savoie frappé entre 1580 et 1630 a été découvert dans la partie supérieure de la couche, ainsi que plus bas deux deniers de billon illisibles mais de module XIIe-XIIIe s.
Couche 5 : vers 0,65 à 0,70 m sous l’actuel le sédiment s’éclaircit et devient un peu plus dense et inclue de nombreux nodules d’argile grise de petits éclats et nodules de calcaire dur ainsi que quelques gros fragments de tuile canal en position horizontale. A l’extrémité ouest du sondage 3 on distingue en C5b une poche de sédiment plus gris mais de texture peu diférenciée. Dans l’ensemble de la couche, on note en descendant la multiplication de petits charbons de bois de taille centimétrique ainsi que d’éclats de coquilles de moule, sans concentration significative. En profondeur, vers 0,78 m apparaissent quelques éclats de taille de calcaire dur, plus fréquents dans le sondage 4 près du mur 7 dont le niveau d’arasement apparaît en cours de fouille de la couche 5 qui le recouvre. Au même niveau que le mur apparaît au sud du mur dans le sondage 4 une poterie complète, apparemment maintenue en place par l’effondrement (rapide ?) du mur 7 dont provient la couche 5 (épaisseur 0,15 à 0,20 m).
Deux monnaies se trouvaient dans cette couche : une obole de Crémone frappée entre le XIIIe s. et 1330, ainsi qu’un méreau probablement frappé au XIIIe –XVe.
Couche 6 : à 0,88 / 0,90 m sous l’actuel, net changement de texture avec l’apparition d’un niveau horizontal de sédiment limono-argileux, dense et gras avec d’abondants nodules compacts d’argile gris clair de 2 à 4 cm, sans trace de rubéfaction, ainsi que quelques petits galets et éclats de calcaire. De nombreux nodules de charbon de bois se sont diffusés à partir de poches de cendre et de charbon que l’on pourrait identifier comme des nettoyages de foyers domestiques, ce que précise la présence de gros fragments de poterie écrasés à plat au même niveau. La faible épaisseur (2 à 5 cm) et l’horizontalité de la couche invitent à identifier un sol d’occupation contemporain du second état du mur 7. La poterie, une marmite glaçurée de l’Uzège, repose sur la surface de ce sol.
au sud du mur apparaît la marmite en place de la couche 5 (cl. Cl. Raynaud).
Fig. 26. Le mur 7-état 1 dans le sondage 4 du « jardin Médard » (cl. Cl. Raynaud).
Mur 7 : perpendiculaire à l’axe du sondage 4, ce mur est dégagé sur seulement 2 m de long. Large de 0,60 m, puis s’épaississant à 0,67 en fondation, il est bâti en moellons de calcaire dur équarris sur place, comme en témoigne la densité des éclats de taille au pied du mur. Parements et blocage interne sont liés à la terre limono-argileuse que l’on retrouve dans la couche 6.
Ce mur apparaît d’abord continu sur toute la largeur du sondage (état 2 sous la couche 6), puis son démontage partiel fait apparaître une porte murée par un radier de gros éclats, lui même posé sur un lit horizontal de gros fragments de tuile (état 1) ; seul le piédroit est de la porte, solidement appareillé en boutisse, est visible dans le sondage (fig. 25-26).
Dans son second état, des poches compactes de terre argileuse grise recouvrant le niveau inférieur du mur attestent que l’élévation du mur était constituée de terre banchée ou de pisé, mais l’absence d’indice caractéristique ne permet pas d’identifier la technique de mise en oeuvre. En toute logique, la couche 5 peut être identifiée comme le niveau de démantèlement d’une construction en terre crue dont le mur 7 formait le soubassement destiné à limiter les remontées d’humidité. La couche 5 n’apparaît pas au nord du mur.
Sol 8 (sondage 3) et 13 (sondage 4) : sous la couche 6 apparaît une surface horizontale à sédiment plus argileux, plus gris et plus dense, tassé par piétinement. De gros éclats de lauze complètent la régularité de ce sol ; dans le sondage 4 le sol 13 (équiv. sol 8) couvert de fragments de tuile horizontaux, se poursuit sous le bouchage de la porte du mur 7 dont il constitue le sol du premier état, mais ne se prolonge pas au nord (épaisseur 3 à 6 cm).
Couche 9 (sondage 4) : présente seulement au nord du mur 7, couche cendreuse et charbonneuse recouvrant de gros nodules de taparas qui buttent mais passent aussi par endroit sous le radier de fondation du mur 7. L’exiguïté de la surface fouillée ne facilite pas l’observation mais la composition massive de cette couche ainsi que sa position stratigraphique indiquent un niveau de remblai préparatoire ) la construction du mur 7 et du bâtiment auquel il appartenait ; la couche 9 ne porte aucun niveau de sol et semble correspondre à un espace découvert.
Paléosol 10 : sous le sol 8/13 et le remblai 9, apparaît partout le niveau supérieur du paléosol brun-calcaire argilo-limoneux, caractéristique de la plaine lunelloise, déjà rencontré dans le sondage 1. Sondé sur 1 m2, ce paléosol s’est révélé vierge de toute inclusion anthropique sur 0,20 m de profondeur. Le substrat de taparas n’a pas été atteint.
Couche 12 (sondage 4) : le radier 11 qui condamne la porte du mur 7, a recouvert et conservé un lambeau de couche argileuse jaunâtre dense et homogène. Provenant probablement du mur en terre crue composant le premier état du bâtiment, ce niveau (effondrement, démolition ?) n’apparaît pas de part et d’autre du mur où les réaménagements l’ont fait disparaître (épaisseur 0,10 à 0,15 m).
Conclusion
La stratigraphie et les structures observées relèvent d’une séquence d’occupation apparemment assez cohérente dans et autour d’un bâtiment auquel appartient le mur 7. Ce mur ainsi que les strates attenantes, témoignent de deux étapes de construction dont les limites de fouille ne permettent pas de mesurer l’étendue ni les fonctions. La construction en terre à soubassement de pierre, évoque le contexte d’un habitat civil, ce que confirme la composition du mobilier céramique. Ce dernier, composé à plus de 90 % de vaisselle de cuisine de l’Uzège, présente de nombreux collages entre les couches 5 à 8, ce qui précise l’impression de brièveté de l’occupation : les éléments céramologiques et numismatique se situent en effet au premier tiers du XIVe s.
Transformé (ou rebâti) une première fois, le bâtiment à peine entrevu semble définitivement abandonné, quelques décennies plus tard, de manière assez hâtive si l’on en juge par le fait que l’effondrement, au moins partiel, de murs en terre crue a pu « fossiliser » en place une partie du mobilier laissé sur place lors de l’abandon par les occupants.
Le mobilier et la stratigraphie ne révèlent ensuite pas d’autre phase d’aménagement jusqu’à la mise en culture du jardin au XIXe s. Faut-il attribuer ce long intermède à l’abandon au moins partiel du quartier, ou seulement à une lacune d’information des sondages qui couvraient seulement 11 m2, soit moins de 1,5 % de la superficie du jardin, ce qui limite la portée des observations : des secteurs d’occupation plus anciens ou plus récents ont probablement échappé à nos investigations.
Fig. 27. Le sol 8 recouvrant le paléosol dans le sondage 3 du « jardin Médard » (cl. Cl. Raynaud).
2. Jardin de l’Observance
Face à l’hôtel de Bernis et à l’est de la rue Alphonse Ménard, le « jardin Palos », longtemps voué au maraîchage mais aujourd’hui utilisé comme parking, occupe une partie de l’ancien « Grand jardin aux Pères Observantins » tel qu’il figure sur le plan terrier de la ville vers 1780 (ADH 1722, plan 8).
Selon la tradition locale rapportée par Roüet, cette communauté de frères mineurs aurait été établie en 1214 par saint François lui-même, à la demande du seigneur Raymond Gaucelm IV. Les archives conventuelles, conservées seulement à partir du XVIIe s., ne permettent pas d’étayer ce récit des origines. Cependant, en 1294, Rosselin II, seigneur de Lunel, élit sépulture dans l’église des fratrum minorum Lunelli ; d’autres testaments témoignent par la suite de l’attrait des notables lunellois en faveur des Frères Mineurs, d’où se détachèrent les Observantins ou Cordeliers, au milieu du XIVe s. (Roüet 1878, 168, 261-262, 409).
Roüet rapporte que le couvent de l’Observance s’élevait hors les murs, près de la porte Séguin qu’il situe au sud de la ville, tandis que Millerot situe cette porte au sud-ouest, près de l’Esplanade du canal. Roüet précise : « En 1822, époque de l’agrandissement du port de Lunel, une église existait sur les francs bords, connue sous le nom de Saint-Antoine de Padoue. La clef du cintre de la porte d’entrée portait le millésime de 1667. Cet édifice avait été construit des débris et sur les fondements de l’ancien couvent établi en 1214... » (ibid., 168). Rien ne subsiste de ces vestiges.
Plusieurs fois ravagé pendant les troubles religieux puis rasé en 1563 sur ordre du gouverneur protestant de la ville, le couvent resta en déshérence jusqu’aux guerres de la Fronde. Après avoir perdu tous ses biens, le couvent est rétabli au XVIIe s. et apparaît sur le plan terrier dressé à la veille de la Révolution (fig. 28-29). Par dons pieux et achat de plusieurs maisons, les Observantins ont alors reconstitué un vaste enclos où s’élevaient le couvent et l’église, en lisière de l’actuelle rue de l’Observance, ainsi qu’une promenade et un grand jardin. L’entrée se faisait au bout d’une allée étroite, séparée de la rue par un Plan, petite place. Les Cordeliers trouvaient là un emplacement paradoxal : tout en s’établissant désormais dans les murs de la ville, contre leur ancienne inclination vers les faubourgs, ils bénéficiaient d’un environnement champêtre dans ce secteur sud de la ville, plusieurs fois rasé par les sièges des XVIe-XVIIe s., où l’on trouvait essentiellement des jardins et des vignes jusque dans les années 1960.
Décrivant ce rétablissement, Roüet précise que le couvent « se trouvait donc au milieu d’un triangle placé entre la rue de la Calade, le couvent des Carmes et le château du Roi ». Cette dernière mention livre incidemment un nouvel élément en faveur de la localisation du castrum, d’abord seigneurial puis royal, dans l’enclos réinvesti par les frères mineurs. C’est aussi là que se dressait la citadelle édifiée en 1573, ce qui explique que jusqu’aux guerres de la Fronde, les sièges de la ville se soient répétés dans ce même secteur où, peut-être, l’emplacement du château des origines avait guidé l’implantation de la citadelle.
Les possessions du couvent, dissous à la Révolution, furent démembrées et vendues comme biens nationaux en 1796. Si le découpage parcellaire de l’îlot ne change guère au XIXe s., les bâtiments conventuels s’effacent rapidement et n’apparaissent plus sur le cadastre napoléonien vers 1820.
Fig. 28. Ilot de l’Observance sur le plan terrier de la ville vers 1780 et sur le cadastre actuel.
Fig. 29. Le couvent de l’Observance sur le plan terrier vers 1780.
2.1. Sondage et stratigraphie
Les clichés aériens anciens mettent en avant la vocation horticole et viticole de l’îlot de l’Observance et des terrains voisins jusqu’aux années 1960. A l’occasion de la construction de l’école Henri de Bornier, la parcelle 68 où nous avons réalisé un sondage est démembrée par expropriation et son propriétaire, M. Palos, maraîcher professionnel, n’en conserve qu’une petite partie attenante à sa maison sur la rue Alphonse Ménard (fig. 30, parcelle 69). Au début des années 1980, l’activité de jardinage cède la place à un parking locatif toujours en fonction à ce jour, ce qui limite les possibilités de sondage à la fois dans le temps et dans l’espace.
Profitant de l’absence d’un véhicule durant quelques semaines, nous avons pu pratiquer un sondage de 5 m par 1,50 m à l’extrémité sud de la parcelle. Ce sondage a été poursuivi jusqu’au substrat en place, atteint à 1,88 mètres sous le sol actuel. La difficulté de stockage des déblais nous a imposé de réduire de moitié le sondage à 1,55 m de profondeur, puis à limiter à 1 m2 le sondage dans le paléosol à partir de 1,65 m
Sol 0 : sol actuel de composition hétérogène comportant de nombreuses recharges de gravier et de nombreux artéfacts sub-contemporains (épaisseur 0,21 m au nord, 0,11 au sud).
Fig. 30. Localisation du sondage du « jardin Palos».
Sol 1 : sol arable brun foncé très organique, limoneux, comportant de nombreux fragments de poterie glaçurée et de verre des XIXe-XXe s. provenant probablement de fumures organiques. Un sillon étroit accompagné d’un piquet en fer matérialise un rang d’ancienne culture (épaisseur 0,30 à 0,35 m, se pince à 3,5 m de la berme nord et cède la place à C 2), deux boutons de vareuse militaire ainsi qu’une balle de fusil Chassepot, appartiennent à la seconde moitié du XIXe s. (identifications Ch. Gourillon). Une pièce en cuivre (1898-1921) ainsi qu’une monnaie de nécessité « Chambre de commerce » de 1923 constituent les éléments les plus récents. Un double tournoi de Louis XIII se trouve ici en position résiduelle.
Couche 2 : comblement d’une dépression informe dans le sol C1 ; terre brune limoneuse, meuble hétérogène, contenant de petits blocs de calcaire dur taillés et épars (0,10 à 0,20 m) ainsi que d’abondants fragments de poterie glaçurée de même chronologie que dans le sol 1 (épaisseur 0,30 à 0,35 m).
Couche 3/ 3B-C : sédiment argileux brun à jaunâtre, dense et hétérogène, incluant de nombreux nodules et poches de mortier, notamment au pied du mur 4 où se distinguent des coulées denses en 3C. L’ensemble dénote un apport de gravats de démolition formant remblai au pied du mur 4 dont il comble la fondation ; se pince et disparaît 3,10 m au sud du mur. Céramique des XVIe-XVIIe s. avec quelques fragments de productions médiévales (épaisseur 0,45 à 0,55 m). Deux double tournois du XVIIe s. (l’un de 1640, l’autre illisible) ont été découverts au sommet de la couche.
Fig. 31. Le mur 4 dans le sondage du « jardin Médard » (cl. Cl. Raynaud).
Mur 4 : mis au jour à l’extrémité nord du sondage sous la couche 1 et partiellement sous C 0 à 0,22 m sous le sol actuel, ce mur n’a pu être dégagé que sur 0,80 m d’épaisseur et 0,70 m de hauteur. Il s’agit d’un ouvrage massif de maçonnerie composite et sommaire comportant principalement des matériaux de remploi, moellons taillés et gros éclats, calcaire dur et calcaire tendre, disposés irrégulièrement et jointés par un abondant mortier à la chaux débordant largement sur la face visible depuis le sondage. L’ensemble, peu cohérent, ne repose sur aucune fondation, la construction étant remblayée au fur et à mesure de son élévation par l’apport de la couche 3.
La masse de cette maçonnerie presque affleurante nous a permis d’en faire le relevé approximatif à l’aide de baguettes magnétiques. Le mur se prolonge sur une large partie de la parcelle jusqu’à 30 m au nord du sondage avec un plan net ; d’abord orienté est-ouest, il décrit ensuite une courbe vers le nord, conservant la largeur régulière de 1,70 à 1,80 m. Sans pouvoir le mettre en relation avec le plan d’un édifice conventuel, on peut cependant le situer à la période moderne et envisager une défense liée à la citadelle des guerres de Religion.
Couche 5 : sédiment limono-argileux brun clair, homogène et compact, comportant de nombreux éclats de taille de calcaire dur, des éclats de tuile canal ainsi que de nodules de mortier de chaux. Par endroits le sédiment devient plus argileux sans que l’on puisse identifier une structure différente (C 5B). Le mur 4 est posé sur ce niveau horizontal qui semble correspondre à un sol de chantier du fait de l’abondance des matériaux (épaisseur 0,20 à 0,30 cm, recoupée au sud par le creusement 13).
Sol 6 / dallage 7 : niveau de circulation horizontal, composé d’un sédiment limono-argileux brun à brun-roux et nombreux petits blocs, dallettes, éclats de calcaire et galets, le tout damé et poli par piétinement. Observé sur la moitié du sondage seulement, ce sol est renforcé partiellement par un dallage (Us 7) composé par une rangée de grandes lauzes de 0,43 à 0,70 m pour 0,08 à 0,10 m dépaisseur soigneusement disposées et calées par le radier C 8. Les limites du sondages ne permettent pas d’identifier la fonction de ce sol bien aménagé.
Deux monnaies en alliage cuivreux ont été recueillies : un double tournoi de Philippe VI (1293-1350) ainsi qu’un sol corona de Provence (1339-1384)
Radier 8 : sous le sol 6 / dallage 7, radier compact d’éclats de calcaire dur de taille variable, liés par un sédiment limoneux brun clair compacté par piétinement.
Un denier de Saint-Gilles de Raymond V (1134-1194) se trouvait dans le radier.
Sol 9 / 10 : horizon supérieur du paléosol brun calcaire en place (épaisseur: 7 à 9 cm). La partie supérieure (couche 9) comporte quelques gros éclats de calcaire dur et de petits fragments de tuile, se raréfiant vers le bas puis disparaissant progressivement en C 10, arbitrairement distingué de C9 mais de même composition sédimentaire limono-argileuse (épaisseur C 9/10 : 0,17 à 0,25 m).
Paléosol 11 : horizon inférieur du paléosol, sol brun calcaire limono argileux compact contenant vers le bas quelques petites poupées carbonatées ; exempt de tout apport anthropique. Epaisseur 0,19 à 0,22 cm, ce qui porte à 0,45 m l’épaisseur initiale du paléosol.
Taparas 12 : encroûtement calcaire de la plaine lunelloise ; homogène et stérile, observé superficiellement sur 1 m2.
Creusement 13 : sous C 2B et C 3 la moitié sud du sondage présente un sédiment limono-argileux comportant d’abondants gros fragments de tuiles canal et fragments de calcaire dur. Ce sédiment meuble livre d’abondantes coquilles de gros escagots mais très peu d’éléments céramiques ou de charbons de bois. Il s’agit probablement du comblement d’une grande excavation, fosse ou fossé dont la paroi de creusement n’a pu être clairement identifiée dans le sédiment encaissant de même couleur mais que l’on observe jusqu’à la base de la couche 5.
Outre un sol coronat du comté de Provence du XIVe s. et un double Parisi des années 1293-1350, à l’évidence résiduels, un liard Montpensier de la fin du XVIe ou début du XVIIe s. fixe une borne chronologique que confirme la céramique.
Fig. 33. Coupe stratigraphique nord-sud du sondage du jardin Palos (N. Caballero-A. Lee).
3. Etude des céramiques
Les 3662 fragments de céramique provenant des sondages du « Jardin Palos » et de l’Hôtel de Bernis se répartissent en dix catégories de techniques et de provenances distinctes. Au sein de cet ensemble qui couvre les XIIe-XVIIIe s., on distingue trois groupes principaux, relatifs à trois périodes successives (fig. 34):
- les XIIe et XIIIe siècles, principalement représentés par des céramiques à pâte sableuse non glaçurée, plus rarement à pâte calcaire peinte ;
- la fin du XIIIe et le XIVe s. durant lesquels prédominent les productions d’Uzège à glaçure plombifère qui constituent de 30 à 97 % des céramiques selon les assemblages, loin devant les céramiques grises à pâte calcaire, probablement d’origine Montpelliéraine, le tout complété par quelques pièces d’importation hispanique ou ligure ;
- la période tardo-médiévale et moderne, attestées par une large gamme de productions glaçurées et colorées, d’origine principalement régionale, entre Provence et Languedoc.
Ces séries sont analysées par sondages et par couches, ou au contraire globalement, selon les observations stratigraphiques et les recollages.
3.1. Le sondage du jardin Palos (fig. 35-36)
Les couches inférieures du sondage (couches 8, 9 et 10) ont livré un ensemble conséquent de céramiques sableuses au sein desquelles les pâtes oxydantes et réductrices, probables variantes d’une même production, font jeu égal (respectivement 249 et 327 fragments), loin devant les productions à pâte claire peinte (25 fr.) et kaolinitiques de la basse vallée du Rhône (27 fragments). Malgré cette relative diversité ces catégories livrent un répertoire de formes très répétitif, comportant essentiellement des pots globulaires à bord en bourrelet des types CATHMA 2 et 3 (fig. 35, n° 1-17). A l’exception des céramiques Claires peintes qui portent quelques bandes de peinture argileuse ocre ou brun (n° 5), ces poteries restent dépourvues de décor et de revêtement. Cet ensemble d’observation conduit à situer de façon large le mobilier dans un large XIIe s., ce que précise le denier de Saint-Gilles de Raymond V (1134-1194) découvert dans la couche 9.
Les couches 5 et 6 traduisent une période plus récente. Le mobilier homogène est dominé par la céramique glaçurée de l’Uzège (30 à 77 %) qui livre essentiellement marmites à lèvre triangulaire du type 4 (Leenhardt et al. 1997, fig. 17), cruches (fonds à talon) et jattes (fig. 36 n° 1-19 ; ibid., fig. 20). En second lieu viennent les à pâte rouge granuleuse, notamment des marmites globulaires probables productions montpelliéraines (n° 20, 21, 24 ; Leenhardt et al. 1999, fig. 16), ou à pâte calcaire grise sans glaçure, elles aussi montpelliéraines (n° 29 ; Leenhardt 1996, 105). La vaisselle usuelle est complétée par quelques pots globulaires à pâte sableuse oxydo-réductrice (n° 22, 23) ou en céramique Claire peinte, d’origine encore incertaine mais particulièrement bien représentée en Lunellois (n° 25-27 ; Raynaud 2007, 257). Notons enfin la présence de céramique à décor vert et brun ne dépassant pas 1 à 2 %, dont un bord de bol hémisphérique (n° 28). Cet ensemble d’observations conduit à situer cet assemblage à la fin du XIIIe s. ou au tiers du XIVe s., avant que la vaisselle sableuse de Montpellier ne s’efface devant l’omniprésence de la vaisselle kaolinitique de l’Uzège et que les importations ne soient mieux représentées.
Cette fourchette est confortée par le double Parisis de Philippe VI (1293-1350) ainsi que le sol de Provence de Louis Ier (1339-1384), mis au jour dans la couche 6.
Les couches 3 et 13 on livré un ensemble disparate se partageant entre les productions glaçurées d’Uzège des XIVe-XVe s. (fig. 35 n° 18-21) ainsi que la céramique rouge sableuse à glaçure plombifère transparente, parfois ornée de bandes rayonnantes d’engobe miel (n° 22-25). Essentiellement composée d’ustensiles de table, écuelles, plats et bols, cette vaisselle livre plus de 50 % du lot et provient probablement des ateliers de Montpellier des XVe-XVIe s. (Vayssettes, Vallauri 2012, 94-95). Des mêmes ateliers provient aussi une série de plats et pichets à pâte calcaire beige (n° 26-29 ; Vayssettes, Vallauri 2012, 83-86). Comme l’hétérogénéité des céramiques, cette datation traduit un remaniement de ces niveaux et se trouve confirmée par la découverte de deux tournois des années 1640 dans la couche 3 et d’un liard du début du XVIIe s. dans la couche 13 (cf. étude infra).
3.2. Les sondages 3 et 4 de l’hôtel de Bernis (fig. 37-40)
Le sondage 1, conduit dans le sol de béton de la pièce en sous-sol, ainsi que le sondage 2 interrompu à cause d’une canalisation moderne, n’ont livré aucun mobilier. Par contre les sondages 3 et 4, contigus, ont révélé des niveaux d’occupation au mobilier abondant, comportant au total 2470 fragments. Exception faite des niveaux supérieurs du sondage 3 (couches 1 et 4), ce mobilier révèle une certaine homogénéité, confirmée par plusieurs recollages entre les couches 5b à 11. Après inventaire et dessin de chaque US pris séparément, l’ensemble peut être traité globalement comme étant représentatif d’une même phase d’occupation.
L’ensemble est dominé de façon manifeste par la vaisselle à glaçure plombifère de l’Uzège, qui représente selon les US entre 62 et 97 % du total, suivi par la céramique calcire grise de Montpellier, qui oscille autour de 10 % à l’exception de la couche 4 du sondage 4 où elle devient majoritaire.
Les céramiques décorées de table restent minoritaires autour de 2 à 5 %, n’atteignant 11 % que dans la seule couche 4 du sondage 4. On y trouve deux vases de sgraffito archaïque à décor incisé sur engobe blanc et pâte rouge, à glaçure de cuivre et fer, d’origine ligure (fig. 37 n° 1, 5). Deux bols hémisphériques à décor de lustre brun-rouge et bleu sur fond blanc, est une importation valenciane de qualité (n° 6-7 ; faciès Valencien ancien de type C, identification L. Vallauri). Plus fréquentes sont les céramiques émaillées à décor vert et brun sur pâte calcaire, provenant probablement d’ateliers régionaux. Elles sont représentées par des plats évasés ainsi qu’une coupe hémisphérique (n° 2-4). Cet assemblage est présent dans les mêmes proportions à Arles (Leenhard 1996, fig. 25 et 28) et Montpellier (Leenhard 1999, fig. 35).
La vaisselle culinaire de l’Uzège est essentiellement composée de marmites globulaires à col cylindrique et lèvre plate ou triangulaire des types 5 et 6 de la typologie d’Avignon (fig. 38-39 ; Leenhardt 1996, 63). Cette batterie se partage d’inégale façon entre des modules majoritairement de petite taille (11 à 17 cm de diamètre du col), moins fréquemment de taille moyenne (18 à 24 cm) et très exceptionnellemet de grand module (36 cm, fig. 38 n° 31). Moins fréquents sont les bord en amande du type 3 (fig. 39 n° 5-8, 10, 11). A cela s’ajoutent quelques jattes à collerette (n° 14-17), des pots à bord oblique (n° 12-13), des cruches et pichets (n° 18-20) ou de types mal identifiés (n° 21-25). Comme les marmites, ces éléments appellent de nombreuses comparaisons avec le mobilier d’Arles et Montpellier. Notons enfin un pot à lèvre à gouttière interne (fig. 40 n° 1), aussi attesté à Arles (Leenhardt 1996, fig. 19), deux coupes à glaçure interne (n) 2-3 ; Leenhardt 1999, fig. 24), ainsi qu’un fragment de panse de cruche portant des cordons verticaux en relief (n° 4).
La céramique grise à pâte calcaire, bien présente en nombre de restes, n’a cependant livré que trois pièces identifiables : un pot à bord en gouttière, un gobelet caréné et bord de cruche (n° 5-7), tous attestés à Montpellier (Leenhardt 1999, fig. 19).
La vaisselle à pâte sableuse oxydante, surtout présente dans la couche 4 du sondage 4, a livré des fragments de pots globulaires à col mince de type CATHMA 2 ainsi qu’un couvercle conique (n° 8-11). Ces éléments se détachent du contexte et pourraient être résiduels d’une occupation antérieure non identifiée dans les sondages. Par contre, deux marmites à pâte rouge granuleuse, à lèvre en gouttière, entre dans les productions montpelliéraines souvent associées aux marmites d’Uzège présentées plus haut (fig. 15-16). Peu présente, la céramique claire peinte a cependant livré un couvercle conique, un bord de por de type CATHMA 2 ainsi qu’un fond plat (n° 12-14). Enfin, un fond plat large à pâte rouge fine, portant une glaçure jaune, reste indéterminé (n° 17).
Cet ensemble de 80 pièces présente les caractéristiques de l’approvisionnement domestique de la fin du XIIIe et du premier tiers du XIVe s. Les monnaies découvertes dans les mêmes couches, deux deniers indéterminés mais attribuables par leur module aux XII-XIIIe s., un méreau des XIII-XIVe s. ainsi qu’un quataro génois entre la fin du XIIIe s. et 1339, confortent cette datation. De par son abondance et sa diversité, ce mobilier est appelé à rester un ensemble de référence pour l’approvisionnement de la ville de Lunel, à la charnière des XIIIe et XIVe siècles.
Fig. 37. Sondages 3 et 4 de l’hôtel de Bernis. Céramique de sgraffito archaïque ligure (n° 1, 5),
céramique glaçurée à décor vert et brun (n° 2-4), céramique de lustre valencian (n° 6-7) (A. Lee).
4. Le mobilier métallique (identifications Ch. Gourillon)
4.1. Le sondage du jardin Palos (fig. 41)
1. Balle de fusil Chassepot : calibre 11/11,8 (1866-1874) (couche 1)
2. Bouton de l’armée de terre : RG, Raymond et Guttin à Grenoble (1866-1890) (couche 1)
3. Bouton de la police municipale de Lunel : TWW & W HM Paris (1865-1884) (couche 1)
4. Boucle double en alliage cuivreux (couche 6)
5. Fermail en alliage cuivreux (bas Moyen Age ?) (couche 5b)
6. Anneau en alliage cuivreux (couche 6)
7. Fermail en alliage cuivreux (bas Moyen Age) (couche 6)
8. Epingle en alliage cuivreux (couche 5b)
9. Coin en acier forgé (couche 5)
10. Demi scellé de plomb à l’écu de France, pour ballot de soie ou de tissu (Louis XIV ou XV) (couche 13).
4.2. Hôtel de Bernis, sondages 3 et 4 (fig. 42)
1. Plaque décorative de ceinture en alliage cuivrreux émaillé champlevé (XIIIe-XIVe siècle) (Sond. 3, C4).
2. Fermail en alliage cuivreux (XIIIe –XIVe siècle).
3. Bague en alliage cuivreux, cabochon en matière brun clair dans une bate (Sond. 3, C4).
4. Embout de fuseau en alliage cuivreux (Sond. 4, C 4).
5. Enseigne de pèlerinage à l’abbaye de Montmajour, alliage cuivreux ; partie supérieure manquante (S. SAN(c)TI.PETRI.MONTIS.MAIORIS, sur la pièce de comparaison), Saint Pierre assis sur un trône tenant une clé (XIIIe-XIVe siècle.) (Sond. 4, C 4).
6. Fixation de harnais ou de ceinture, alliage cuivreux (Sond. 4, C4).
5. Etude numismatique
5.1. Jardin Palos (Christian Gourillon ; fig. 41)
n° 11. Double Parisis, Philippe VI de Valois (1293-1350)
n° 12. Sol Corona ou Quaternial, Comté de Provence, Louis Ier de Tarente (1339-1384)
n° 13. Denier du Comté de Saint-Gilles , Raymond V (1134-1194)
n° 14. Liard en billon, principauté de Dombes, Henri II de Montpensier (1573-1608)
5.2. Hôtel de Bernis (Richard Pellé, INRAP ; fig. 42)
Sondage 4, Couche 4
n° 7. Quataro de la République de Gênes. Premier type
Avers : Croix [. Q. IANVA .] ou légende similaire ; château dans un cercle
Revers : .CV [RA D.R EX.] ou légende similaire ; croix qui coupe la légende
Frappé à Gênes fin XIIIe et avant 1339
Cuivre, module 15,16 mm, épaisseur 0,91 mm, poids 0,79 g, axe du coin 4 h
CNI, tome III, p. 36, 37, n° 1,2 ou 3
Flan court et rogné, de forme ovoïde
Nettoyage manuel
Sondage 4, Couche 4
N° 10. Denier indéterminé
Avers et revers : légende et iconographie illisibles
Frappé au XIIe-XIIIe s. (?)
Billon, module 17,48 mm, épaisseur 1,43 mm, poids 0,51 g, axe du coin inconnu
Flan très altéré et très usé. Les quelques lettres qui se discernent vaguement montrent qu’il ne s’agit pas d’un denier melgorien
Nettoyage manuel
Sondage 4, Couche 4
N° 11. Denier indéterminé
Avers: légende et iconographie illisibles
Revers : légende et iconographie illisibles
Frappé au XIIe-XIIIe s. (?)
Billon ou argent, module estimé 20 mm, épaisseur 0,77 mm, poids 0,44 g, axe du coin inconnu
Flan altéré, cassé en deux et plié. Très usé apparemment. Le titre semble être de meilleur aloi que la précédente. Il pourrait s’agir d’un denier melgorien antérieur à 1215.
Nettoyage manuel très partiel
Sondage 3 , Couche 4
N° 12. Quarto de denier de Charles Emmanuel, duc de Savoie
Avers : C E couronné avec entre trois rosettes à 5 pétales, dessous A
Revers : Croix dans un double quadrilobe, globes aux angles et aux pointes du quadrilobe ; dessous [A]
Frappé à Aoste ou Asti entre 1580 et 1630
Billon, module 14,60 mm, épaisseur 0,81 mm, poids 0,69 g, axe du coin inconnu
CNI, tome I, p. 309, n° 527
Flan court et rogné, peu altéré mais usé.
Nettoyage manuel
Sondage 3, Couche 5
N° 9. Obole de la Commune de Crémone au nom de Frédéric I
Avers: Croix FR[EDERICVS] (s couché); dans le champ : P étoile R sous Omega et sur I
Revers : Croix C(R)E[MONA] : croix avec étoile au 1er et 2e canton
Frappé à Crémone entre 1255 et 1330
Billon, module 13,53 mm, épaisseur 0,87 mm, poids 0,36 g, axe du coin 9 h
CNI, tome IV, p. 192, n° 32
Flan peu altéré mais rogné, assez peu usé. Il s’agit comme pour de nombreuses monnaies italiennes d’un type immobilisé. Il s’agit du second modèle donc plutôt XIIIe-1330
Nettoyage manuel
Sondage 3, Couche 5
N° 8. Méreau (?)
Avers: segments de cercles entourant une rosette
Revers : fleur ?
Frappé au XIIIe –XVe ?
Alliage cuivreux, module 14,10 mm, épaisseur 1,29 mm, poids 0,73 g, axe du coin inconnu
Flan peu altéré, très usé.
Nettoyage manuel
6. Synthèse des données et contribution à la topographie médiévale
Les sondages réalisés en 2016 de part et d’autre de la rue Alphonse Ménard, ancienne rue de la Calade qui constituait l’axe majeur du castrum initial, ont apporté de nombreux éléments nouveaux pour la connaissance de la topographie médiévale et pour l’impact des évènements ultérieurs sur l’évolution urbaine. L’exploration de la présumée synagogue médiévale, ainsi que son insertion dans l’hôtel de Bernis, principale demeure aristocratique de l’âge classique, livre une première étude de cas sur la mutation post-médiévale. Le bâtiment doit sa conservation à son enclavement dans les bâtiments modernes. Une analyse des appareils, des baies ainsi que du plan, permettent d’identifier un bâtiment défensif probablement associé à la défense du castrum avec lequel il encadre la rue de la Calade. Si les bétons modernes interdisent toute approche stratigraphique, l’homogénéité de la construction permet de situer l’édifice au XIIe ou au début du XIIIe s. Plusieurs remaniements l’affectent, d’abord à l’étage au XIVe-XVe s., puis au XVIIe s. avec l’ajout ou la réfection d’une voûte ainsi que le remaniement ou le percement d’ouvertures. Sans surprise, nul aménagement liturgique n’a permis d’identifier formellement sa fonction de synagogue, une fonction qui pourrait intervenir à postériori lors de l’installation en ville d’une population juive.
A l’est de la rue, le sondage du jardin Palos a révélé l’ampleur des destructions, remaniements et reconstructions opérées lors des guerres de Religion et de la Fronde, épisode bien sensible dans la stratigraphie du sondage et la construction d’un mur d’enclos ou d’enceinte que l’on doit peut-être rattacher aux réorganisations successives qui affectent les quartiers sud de la ville, soumis à d’intenses bombardements, jusqu’à leur rasement en 1622. Malgré l’exiguïté du sondage qui aurait mérité une plus large extension, les données de terrain viennent étayer la connaissance des épisodes guerriers relatés par plusieurs sources textuelles. Cette observation explique enfin l’absence réitérée de niveaux d’occupation de la période moderne dans plusieurs sondages réalisés dans ce quartier, d’où la vie se retire alors.
Le mobilier céramique, abondant et bien daté par une série de monnaies, vient amplifier les données des précédents sondages. S’affirme particulièrement l’absence d’élément en faveur d’une origine gallo-romaine supposée par les premiers historiens de la ville : comme les années précédentes, le cortège de près de 4000 fragments a livré un unique fragment de céramique gallo-romaine, élément très érodé, à l’évidence résiduel et provenant d’une occupation éphémère à distance du site et déplacé par l’érosion. De même, les indices d’une occupation à partir de l’an mille, point d’amorce de notre scénario de genèse castrale, restent fort discrets : nul niveau ou aménagement en place et seulement quelques fragments peut-être résiduels. Abonde au contraire la documentation concernant les XII-XIVe s., où l’approvisionnement apparaît de façon attendue, dominée par les centres producteurs d’Uzège et de Montpellier, qui ne laissent qu’une petite part aux importations méditerranéennes, valenciennes ou ligures.
Au final, le bilan de cette quatrième campagne de sondages sur les origines du castrum Lunellum s’avère tout aussi prolifique que les précédentes tout en laissant en suspens de nombreuses questions qui invitent à poursuivre et à multiplier les sondages, démarche la plus à même de nourrir un dossier encore réduit. D’autres négociations sont en cours afin d’obtenir de nouvelles autorisations d’étude en 2017.