Agde, 29 septembre 2024
Comment qualifier Emmanuel Laurens (1873-1959) ? Chanceux, opportuniste, contradictoire, érudit, aventurier ? L’homme a eu une vie exceptionnelle, héritant d’une fortune à l’âge de 21 ans, il va abandonner ses études de médecine et décider de se consacrer aux voyages puis à l’édification d’un palais (renommé aujourd’hui château…). En homme moderne, il va le construire sur un terrain faisant partie de son héritage, entre le bord de l’Hérault pour y amarrer ses bateaux et la voie de chemin de fer (histoire d’impressionner les invités, pour un billet au chauffeur, on pouvait stopper le train devant la propriété). Comme la plupart des palais, il va connaître sa période d’abandon après le décès d’Emmanuel Laurens. Acheté en 1994 par la ville d’Agde, il a été restauré (coût 15 millions d’euros) et ouvert au public en 2023. Destiné à son origine (1899) uniquement aux réceptions, on ressent l’influence de la fin du XIXème siècle, où de riches bourgeois se métamorphosent en reporters-aventuriers (ex Pierre Loti, Albert Khan) dans les contrées lointaines grâce aux progrès technologiques (transports, photographie…) et à l’expansion coloniale. Emmanuel Laurens y a fait travailler les meilleurs maçons, décorateurs, ferronniers, ébénistes, électriciens (une centrale hydroélectrique alimentant le palais jouxtait la propriété) de notre région. Les secteurs sont tous surprenants et majoritairement de style art-nouveau. Il y a même une salle consacrée aux études de physique, Emmanuel Laurens l’a conçue lorsque la première guerre mondiale fut déclarée. Hypothèse : la reprise de ses études le dispensait de mobilisation…
Petites frustrations : nous n’avons pas pu voir les une ou deux pièces du château (salle de bain) accessibles pour cause de fragilité et d’exiguïté qu’à de tout petits groupes et au tarif plus élevé… De même, nous ne connaissons pas le visage d’Emmanuel Laurens, aucun portrait ne décore le palais, pourtant féru de photographie, il n’aimait pas se faire tirer le portrait, une ou deux photos nous sont parvenues mais non certifiées, elles ne sont pas visibles. Emmanuel Laurens était aussi modeste.
Coïncidence, la visite du musée de l'Ephèbe commence par un tableau du Fort Brescou, don d'Emmanuel Laurens. Ce musée pourrait faire sienne une citation de l’archéologue Salomon Reinach. En 1928, il déclarait : « La mer est le plus grand musée du monde ». Citation que je complèterai : « La mer et les cours d’eau sont le plus grand musée du monde ». On ressent l’importance des communications fluviales et maritimes dans notre région. Intéressantes vitrines sur les techniques de navigation depuis l’Antiquité. Navigations bien périlleuses, en témoignent les objets exposés provenant des nombreuses épaves de notre littoral. Le musée accorde une place importante au navire suédois « Jeanne Elisabeth » qui fit naufrage le 14 novembre 1755. En route pour Marseille, il était chargé de blé, de vin, de tabac et de 24 600 piastres. Au début du XXIème siècle, des archéologues amateurs pilleurs ont été arrêtés après l’enquête à l’initiative du DRASSM. Des peines d’emprisonnement ont été infligées, ce procès revêt une importance symbolique capitale.
Le Larousse donne deux définitions du mot « éphèbe ». La première : « jeune homme de 18 ans ayant des obligations militaires », la deuxième : « jeune homme d’une grande beauté ». Je pense que la deuxième est directement inspirée de la statue trouvée dans le fleuve Hérault en 1964. Restaurée en plusieurs étapes par divers laboratoires français, elle a commencé sa carrière muséale au Louvre en 1967 et ne revint en Agde qu’en 1987 dans « son musée », condition exigée par André Malraux quelques années auparavant. Pièce maîtresse, l’Ephèbe est magnifiquement bien amené au cours de la visite par d’autres chefs d’œuvres.
L’exposition « Rivages, 20 000 ans d’évolution du paysage littoral » est centré sur Agde et l’embouchure du fleuve Hérault. On y découvre cette science qui consiste à reconstituer les paysages anciens. Merveilleuse maquette numérique animée qui nous montre les avancées et reculs de la Méditerrannée dans la vallée. A retenir pour les lunellois et les melgoriens, l’immense forêt de l’époque glaciaire à Carnon, cette zone est aujourd’hui recouverte par la mer (belle souche fossilisée exposée).
Voici mes clichés et ceux d'Isabelle, si vous pensez que les vôtres peuvent compléter, n’hésitez pas à me les transmettre. Cordialement. Thierry