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Lodève, le 25 octobre 2019

 Après avoir eu peur de devoir annuler pour cause de déluge, nous avons eu une frayeur sur l’autoroute, nous avons évité de justesse un bloc de béton tombé d’un camion... La vie ne tient qu’à un fil, les bonnes journées aussi.

 Des fils, ce n’est pas ce qui manque à la manufacture de la Savonnerie, unique annexe de celle de Paris. Louis XIII développa une manufacture de tapis en installant des ateliers sur les bords de la Seine au pied de la colline de Chaillot, dans les bâtiments d'une ancienne fabrique de savons (d'où le nom). Le tissage commence à Lodève en 1663 sous l’impulsion de Colbert.

 Depuis, on y réalise des tapis d'exception (4 à 5 ans de fabrication en moyenne) selon la technique du point noué. Ils sont destinés aux ambassades, aux monuments nationaux, au Palais de l'Elysée… Les tapis sont rarement « commandés », ils sont stockés en attendant une miraculeuse rencontre. Les lissiers qui les réalisent n’ont pas le plaisir de voir leur nom inscrit ni au recto, ni au verso, seules les initiales SL (Savonnerie de Lodève) sont visibles dans un coin. Remarquez-les la prochaine fois que vous dînerez à Matignon ou à L’Elysée.

 Au XXème siècle, la manufacture se relance grâce aux compétences de femmes françaises d’origine algérienne ayant quitté leur pays après la guerre d’Indépendance. Les ateliers que nous avons visités datent de 1989, particulièrement vastes, ils disposent de puits de lumière naturelle sous lesquels les tapis rayonnent. Les thèmes classiques ou contemporains sont traités avec le même bonheur. La concentration, la minutie et la patience des lissières qui s'appuient sur un nuancier de plusieurs milliers de couleurs permettent toutes les audaces. J’aimerais bien les voir traiter un sfumato de Léonard.

 Notre guide, a expliqué avec beaucoup de précisions et sans jamais se prendre les pieds dans le tapis, le process de fabrication (c’est comme ça que l’on dit aujourd’hui), je l’ai trouvée un tantinet expéditive, nous aurions bien aimé vider notre sac à questions. Je m’attendais à quelques explications en début de visite sur l’histoire du tapis (origines géographiques, premiers tapis, premières techniques, premières fonctions…) et alors que nous avons été très sages tout au long de la visite, comment peuvent-ils nous laisser partir frustrés, sans avoir été autorisés à toucher une pelote, un tapis ? A la fin de toutes visites, on déguste la spécialité locale, pourquoi ne pas laisser les visiteurs marcher pieds nus sur un tapis (norme hygiénique de l’UE ?).

 Nous quittons cette ambiance monacale pour gagner le monastère de Grandmont, propriété de la famille Bec depuis 1957. Martine notre guide, nous propose de nous installer dans la cour. Ce choix est judicieux, adossés au mas viticole du XIXème siècle, nous admirons la façade du prieuré côté cour. L’ordre de Grandmont a été fondé au XIème siècle par Etienne de Thiers, à son apogée, il comptait 160 monastères en France, Espagne et Angleterre. Celui de Lodève est le dernier conservé dans son intégralité. L’ordre est dissous en 1772 par manque de volontaires, c’est un miracle qu’ils aient tenu jusque-là (ils marchent pieds nus, ne se chauffent pas, ne mangent pas de viande, vivent dans le silence et la solitude…).

 Monique qui est venue y chanter il y a quelques décennies, ne reconnait pas les lieux, elle est stupéfaite par la qualité de la restauration. Constatation confirmée par la visite. Audioguide à l’oreille, nous arpentons cette exceptionnelle architecture romane puis partons alentour pour une balade archéologique. Nous sommes à la limite entre deux influences, au sud du domaine c’est une ambiance purement méditerranéenne, quelques dizaines de mètres plus au nord, le bois a des accents lozériens. Des œuvres contemporaines sont disséminées, mais... nous sommes là pour parler du passé.

 Nous visitons des menhirs, des dolmens, des tumulus, des sièges-trônes creusés, des cupules, des sarcophages, un rucher et même une table à sacrifices qui a peut-être servi de pressoir, le tout réalisé dans de la roche locale (majoritairement du grès). Nous avons l’impression d’être dans un supermarché du néolithique (style Ikéa), on chemine dans le magasin et on repart avec un dolmen en kit. Parsemé de falaises, de superbes murs, des belvédères, la balade offre un remarquable panel historique teinté de romantisme par l’action de Mr Vitalis, un riche tisserand lodévois. Propriétaire des lieux en 1850, tel un empereur romain, il n’a pas hésité à creuser un étang et à ériger une stèle en latin à sa mémoire. Il faut dire que l’eau ne manque pas, il y a trois sources généreuses, sûrement une des raisons de l’installation humaine en ce lieu (2 500 ans avant JC).

 Le musée Fleury a été restauré en 2018. Dès le hall d’entrée, nous sommes accueillis par l’impressionnant Faune de Dardé. Les salles sont superbes, les œuvres bien présentées.

 L’exposition temporaire est consacrée à la peinture belge (Ensor, Magritte, Alechinsky), rapide aperçu de la société du plat pays à la fin du XIXème et au cours du XXème.

 J’ai particulièrement apprécié, la partie consacrée à l’évolution de la vie sur Terre. Tous les fossiles ont été trouvés dans le lodévois : ichtyosaure reconstitué grâce à quelques éléments, empreintes de seymouria, espèces végétales disparues, impacts de gouttes de pluie… les nouvelles animations sont remarquables, mais l’histoire de notre planète est complexe, plusieurs visites seraient nécessaires.

 J’ai eu une belle émotion en faisant la connaissance de LUCA, notre ancêtre aujourd’hui disparu et commun à toutes les formes de vie terrestres actuelles. LUCA est un acronyme (Last Universal Common Ancestor) proposé en 1996 par Patrick Forterre, un biologiste français. LUCA était un organisme très simple, à ne pas confondre avec les premières cellules (antérieures à LUCA).

 Belles sculptures de Dardé. Nous apprenons que cet autodidacte a toujours eu du mal avec l’autorité et le conformisme. En pleine ascension, il part au front en 1914 comme brancardier. Anéanti par les corps en charpie, il déserte. Il échappe au peloton d’exécution et est interné en hôpital psychiatrique. Après la guerre, il dénigre sa gloire parisienne et revient à Lodève pour réaliser entre autres de magnifiques monuments aux morts, bien sûr pacifistes, les Lunellois peuvent en admirer un dans le parc Jean Hugo.

 Nous terminons par la touchante mise en scène des mystérieuses stèles discoïdales provenant du village d’Usclas.

                                          Cordialement, Thierry

  Voici mes clichés complétés par ceux de Michel et Gérard.