A quoi tient le destin d’un village ? Saint-Guilhem le Désert doit le sien à un bout de bois de quelques centimètres reçu en cadeau par Guillaume d’Orange après s’être retiré dans la vallée de Gellone pour y fonder son abbaye en 804. Pour avoir guerroyé aux quatre coins de l’Europe, Guillaume (Guilhem en occitan) a dû faire la gueule lorsque Charlemagne lui a offert ce simple éclat au tout début du IXème siècle. Qu’en faire ? Un cure-dents, se chauffer ? Le sourire lui revint lorsque Charlemagne lui expliqua que ce n’était rien moins qu’un morceau de la croix du Christ (à cette époque, le certificat d’authenticité n’existait pas). Dès lors des milliers de pèlerins accoururent pour se faire laver les pieds par les moines dans le narthex avant de pouvoir admirer la sainte relique. En 2023, il n’y a plus de moines, l’abbaye est administrée par des sœurs, sympathiques mais intransigeantes, lorsque la messe a commencé, elles nous ont chassés manu militari. Attenant au chevet se trouve leur jardin, l’une d’entre elles, sûrement dispensée de messe, était en train de grappiller des raisins.

 Merveille de l’art roman languedocien, cette abbaye a souffert pendant les guerres de religion et a été abandonnée par les religieux lors des décennies qui ont suivi la Révolution Française. Après quelques tentatives ratées (filature, tannerie…), le cloître a été en grande partie démantelé par un maçon qui s’en servait de carrière ou vendait les éléments dans la région pour compléter la décoration des jardins de notables. En 1906, un américain, Georges Grey Barnard, collecta et racheta ces parties disparues avant de les revendre en 1925 au Metropolitan Museum of Art de New-York. Je verrai avec Maxime, le trésorier, si nous pouvons envisager une sortie à New-York.

 St Guilhem est un village-rue. La nature a canalisé les habitations autour d'un cours d'eau, le Verdus, celui-ci disparait sous les maisons (dans le temps, il alimentait des moulins, nous sommes rentrés sous la mairie), réapparait dans des ruisseaux, des fontaines, apportant une fraicheur que les pèlerins exténués doivent apprécier et la vie… tout au bout de cette rue principale nous y avons trouvé des bassins sillonnés par de magnifiques esturgeons. On fait du caviar à Saint-Guilhem le Désert. Dommage, nous n’avions pas le temps de visiter ni de déguster, une idée de cadeau pour Noël. Nous n’avons pas eu de caviar au restaurant  (L’Oustal Fonzes) mais une délicieuse rouille à la sétoise.

 L’abbaye Saint-Sauveur d’Aniane a été fondée en 782 par Saint-Benoit, elle est sœur de celle de Gellone et le pont du Diable sur l’Hérault a été construit pour servir de trait d’union entre les deux. Elle aussi, a souffert des guerres de religion et a été abandonnée à la Révolution. De 1793 à 1843, elle servit de filature, une centaine d’ouvrières y travaillaient, les plus jeunes avaient sept ans… En 1845, elle devint prison pour adultes (700 détenus) puis en 1885, « colonie industrielle et agricole » pour jeunes délinquants. Même si elles se sont assouplies au fil des ans, les conditions étaient terribles pour ces jeunes défavorisés. Fermeture définitive du site en 1998, depuis, il est laissé à l’abandon malgré son classement aux Monuments Historiques et son rachat par la Communauté de communes « Vallée de l’Hérault ». Dans ce chef d’œuvre en péril non sécurisé, l’ambiance est pesante, désolante. Ce lieu semble maudit, à quoi tient son destin ?

 Merci beaucoup à Eliane, à Corinne et aux Michel (Bonnet et Manilève) pour leurs photos et à Alicia, notre sympathique guide pour son professionnalisme.

 Cordialement, Thierry