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Résumé de la thèse de Maxime Scrinzi

 

Archéologie de la vallée du Vidourle : dynamique spatio-temporelle du peuplement

                                de l’âge du Fer à l’an Mil

 Par Maxime Scrinzi

 

Introduction

 Entre archéologie, histoire et géographie, cette analyse du peuplement dans la vallée du Vidourle, fait suite à deux mémoires de Master présentant une approche archéologique de l’agglomération gallo-romaine de Prouvessa (Combas, Gard) et de son environnement durant l’Antiquité. Dans le cadre de la présente thèse, la zone d’investigation a été élargie à l’unité géographique que représente le bassin versant du Vidourle, lien fort entre Méditerranée et Cévennes. La question des dynamiques d’occupation du sol, dans la continuité de mes travaux de master et de ceux qui les ont précédés, constitue le fil directeur de cette étude destinée à une meilleure compréhension de l’économie et de l’investissement des campagnes entre l’âge du Fer et l’an Mil en Languedoc oriental.

Prenant sa source au pied du massif des Cévennes, à 500 m d’altitude, le Vidourle est un fleuve côtier à régime méditerranéen parcourant 95 km jusqu’à son embouchure dans la lagune littorale et drainant un bassin versant de 800 km² entre Gard et Hérault. Il traverse les différentes unités du géo-système régional. Cévennes et bassins sub-cévenols, collines calcaires, garrigue, plaine, lagune s'y juxtaposent en un paysage contrasté (fig. 1). Le choix  de ce secteur a été guidé par la volonté de poursuivre et compléter les études déjà engagées. De multiples travaux archéologiques sur l’histoire du peuplement ont donné lieu à plusieurs publications dans la basse et moyenne vallée du fleuve. Cela est moins évident dans la haute vallée où l’investissement de la recherche archéologique reste limité.

Afin d’enrichir la carte archéologique sur l’ensemble de la vallée, plusieurs prospections pédestres ont été menées de 2008 à 2013 entre le moyen et le haut Vidourle. Ce travail a permis de reconnaître 115 établissements inédits, complétant ainsi le corpus qui s’élève à 832 sites essentiellement connus par le biais de prospections, mais aussi de fouilles. Ces opérations de terrain constituent un apport majeur pour la connaissance du peuplement de l’arrière-pays sub‑cévenol, longtemps considéré comme isolé, peu attractif et sous-peuplé. Si la géographie de ce secteur peu favorable à l’agriculture a contribué à cette idée, le manque de recherches, essentiellement concentrées sur le littoral, a également joué un rôle.

Au terme de l’enquête de terrain, on a pu travailler sur une vallée fluviale entièrement couverte par les prospections, et raisonner sur les questions des dynamiques d’occupation du sol grâce à la réalisation d’un système d’information géographique (fig. 2). Jusqu’à présent, les archéologues ont peu accédé à des données englobant la totalité d’une vallée fluviale, ce qui constitue une des singularités de cette étude.

La diachronie constitue également un des moteurs de cette thèse. Alors qu’une majorité d’études d’occupation du sol ont établi des modèles de peuplement centrés sur des phases chrono-culturelles, telle que la Protohistoire ou l’Antiquité, le choix s’est porté sur un cadre chronologique de dix-sept siècles. C'est-à-dire avant la fondation des premiers oppida au VIIe s. av. et la formation des premiers maillages villageois au Xe s. ap. J.-C. Cette ambition vise avant tout à offrir une image plus complète de l'histoire de l'occupation humaine, en dépassant les barrières temporelles, qui s’avèrent parfois trop étroites pour cerner l’évolution du peuplement.

 Des Cévennes à la mer, le fleuve traverse et lie une mosaïque de paysages, fidèle à la définition "Braudelienne" du géo-système de la Méditerranée. Autant de contextes environnementaux conduiraient à une multitude de formes d’occupation du sol, d’habitats et de réseaux, alors que le large champ chronologique induit une analyse de l’évolution du peuplement. Cette situation de vallée fluviale interroge également quant au rôle du fleuve dans l’organisation du peuplement, ainsi qu’aux aménagements mis en place pour maîtriser les crues dévastatrices, communément appelées « Vidourlades ». De plus, en tant qu’axe de pénétration entre terre et mer, le Vidourle tient une place de premier ordre dans l’économie locale, et en particulier dans les échanges commerciaux. Les traces laissées par cette économie sont la plupart du temps d’ordre matériel et la céramique y tient un rôle de première importance. L’étude des proportions de mobilier importé, par rapport aux productions locales, a été nécessaire à l’analyse des flux d’échanges entre plaine littorale et Cévennes.

 

 Résultats

Au terme de cette étude, la question des rapports entre la mer et l’arrière-pays, liés par le fleuve, constitue le fondement de l’analyse. Cette dernière met en avant une certaine unité des formes d’occupation dans l’ensemble de la vallée. De la concentration des populations au sein des oppida protohistoriques, jusqu’aux castra et villae du premier Moyen Âge, en passant par les réseaux d’agglomérations et d’établissements dispersés de l’Antiquité, tous les secteurs du bassin versant sont concernés par ces dynamiques (fig. 3 à 5).

Sous cette apparente uniformité, des discordances apparaissent en termes de densité avec une plaine littorale et une moyenne vallée qui polarisent une grande partie du peuplement. L’ouverture commerciale et culturelle sur la Méditerranée constitue un premier élément de réponse, tandis que les ressources naturelles et les qualités agronomiques des sols ont favorisé le développement des activités agricoles et artisanales. Plusieurs hypothèses ont été mises en avant pour expliquer cette disparité avec un haut Vidourle où les réseaux sont moins affirmés.

Les conditions de prospection restent moins favorables qu’en plaine, dans une région collinaire marquée par la récurrence des friches et des zones boisées non prospectables qui occupent l’essentiel du territoire sub-cévennol. Cette contrainte nous limite à une image partielle du peuplement dans ce secteur, avec seulement 12 % de la superficie totale des trois principales communes du haut Vidourle prospectées (fig. 6). Les villages et les mas actuels peuvent se superposer à des établissements plus anciens que l’on ne peut percevoir sans la fouille, à l’image des villages de Gailhan ou de Sauve. Même si notre appréhension du peuplement en haute vallée butte sur différents facteurs, l’occupation reste dans tous les cas bien deçà de ce que l’on observe dans les zones basses. La rareté des épandages dans les secteurs cultivés de haute vallée, illustre un faible investissement de l’arrière-pays, où le peuplement apparaît essentiellement groupé. Si ces zones de collines et de basse montagne restent peu investies, elles n’en demeurent pas moins peuplées et aménagées, à l’image du Bois des Lens. Il convient d’accentuer la recherche afin de mieux caractériser ces aménagements, aussi bien agricoles que les formes d’habitats. En effet, on ne peut écarter des installations en terrasses afin de tirer profit des reliefs, alors que des relevés LIDAR permettraient de mieux appréhender ces secteurs où la prospection pédestre reste difficile.

Les rythmes de peuplement étaient au cœur de cette thèse. L’importance du corpus a permis de disposer de données quantifiées pour chaque siècle, conduisant à une évaluation assez précise de l’évolution et des dynamiques du peuplement. Ces dernières s’inscrivent et s’accordent aux contextes de la Gaule méridionale, mis en avant dans diverses études comparatives, allant de la Catalogne à la Provence : Peuplement essentiellement concentré au sein des oppida durant l’âge du Fer, développement d’importants réseaux d’établissements dispersés à partir du IIe s. av. au IIe s. ap. J.-C. qui se recentre sur les sites majeurs et stables à la fin de l’Antiquité, alors que du VIe au VIIIe s., l’occupation se stabilise sur le littoral et la moyenne vallée, avant de connaitre un nouvel élan dès le IXe s. (fig. 7).

Toutefois, hormis certaines agglomérations bien documentées par l’archéologie, la connaissance des formes des établissements dispersés, reste limitée. Outre l’aspect structurel et fonctionnel, la multiplication des fouilles de ces sites dit secondaires, permettrait d’asseoir, ou de nuancer, les analyses typologiques et hiérarchiques réalisées essentiellement à partir de données de prospection.

Voie de passage stratégique, apports en eau douce, plaine alluviale fertile, le Vidourle et ses affluents animent et guident les choix d’implantation des populations. Ces dernières manifestent une volonté d’être au plus près des points d’eau par commodité et nécessité de contrôle en assumant les risques encourus. L’agglomération d’Ambrussum reste le seul établissement où l’on a pu appréhender par la fouille, la gestion du risque fluvial, par des exhaussements réalisés au moyen d’un épais remblai dans l’ensemble de la station routière gallo-romaine au bord du Vidourle. Cela marque une volonté d’implantation durable à proximité du fleuve. En parallèle, les hauteurs et coteaux garantissaient la sécurité contre les inondations, une meilleure maîtrise du territoire, notamment pour les agglomérations, ainsi qu’une gestion des terres cultivables. Entant qu’axe de pénétration vers l’arrière-pays, le Vidourle constituait également une voie commerciale entre terre et mer.

La vallée, dans sa totalité, était intégrée aux différentes dynamiques d’échanges observées en Gaule méridionale : commerce étrusque et massaliète à l’âge du Fer ; importations italiques durant les périodes tardo-républicaine et augustéenne ; de Bétique et d’Afrique au Haut‑Empire, accentuations des trafics depuis ces provenances ainsi que de la Méditerranée orientale à la fin de l’Antiquité et arrêt des importations dès le début du VIIIe s. Cependant, à l’image du constat établi pour les rythmes d’occupation du sol, on observe des densités différentes entre la plaine et le bassin sub-cévennol, notamment dès l’Antiquité, pendant laquelle la place des productions régionales est prépondérante (fig. 8 à 10). Le littoral était logiquement davantage intégré au commerce méditerranéen que l’arrière-pays, et les établissements portuaires occupaient une place décisive dans la réception et la redistribution des marchandises. Toujours est-il que les problèmes d’évaluation du mobilier importé à partir de données de prospections souvent peu fournies, tendent à nuancer nos interprétations. Seule la multiplication des fouilles entre collines et Cévennes permettront d’étoffer notre appréhension des réseaux de distribution, qui passe également par une meilleure connaissance des voies de communication.

Perspectives de recherche

Les voies terrestres n’ont pu être abordées que dans les grandes lignes, à travers les axes routiers principaux. Bien que cette problématique a été développée à l’échelle de microrégions tels que le Lunellois ou le bassin de Combas-Montpezat, une restitution du réseau viaire dans le cadre de la vallée reste à effectuer. Cette approche pourrait également être étoffée par une réflexion sur la navigabilité du fleuve aux époques prises en compte, ainsi que sur sa relation avec le réseau viaire, aspect qui n’a été que partiellement évoqué dans cette analyse.

Si l’étude des échanges extrarégionaux illustre la puissance et la durabilité des liens avec le bassin méditerranéen, qu’en est-il avec le Massif Central ? Les rares monnaies Arvernes et céramiques dite "celtiques" de la période tardo-républicaine, constituent de bien faibles éléments pour parler de courant d’échange. De même au Haut-Empire, la vaisselle sigillée de la Graufesenque n’est en rien représentative en raison de sa diffusion dans tout l’Empire romain. À la fin de l’Antiquité, les céramiques aveyronnaises de type Maubert, ainsi que les céramiques Bistre de Bourgogne, marque une continuité modeste des apports de Gaule centrale et Septentrionale. Les trafics en provenance de la partie méridionale du Massif Central pouvaient concerner des produits autres que la céramique et n’ont laissé que peu de traces, à l’image de la poix, confectionnée notamment dans cité des Gabales. Ces données constituent des pistes de recherches, alors qu’une analyse comparative des systèmes de peuplement mettrait en évidence les similitudes et les disparités entre une vallée Méditerranéenne et une zone de moyenne montagne.

Si la vallée du Vidourle constitue un axe vers l’intérieur, elle reste surtout ouverte et intégrée à l’espace méditerranéen. L’analyse de l’occupation du sol sur un temps long met en avant un modèle de peuplement à l’échelle du Languedoc oriental, mais comment s’insère t-il dans le contexte de la Méditerranée ? Est-il représentatif d’un système de peuplement que l’on rencontre fréquemment dans les vallées fluviales espagnoles, italiennes, nord africaines, ou se noie t-il dans une mer de situations toutes aussi diverses les unes que les autres ?

En définitive, bien que les analyses archéologiques de peuplement se multiplient depuis une vingtaine d’année en Méditerranée occidentale, elles concernent généralement des territoires administratifs où des microrégions. Rares sont celles qui prennent en compte une vallée fluviale dans sa totalité malgré le potentiel scientifique que cela induit. Le programme sur la vallée du Vidourle pourrait constituer le point de départ d’un axe de recherche élargi aux régions et pays voisins, dans le but d’établir un cadre méthodologique et analytique du peuplement en contexte fluvial en Méditerranée occidentale.

Figure 1 : localisation de la zone d'étude (SIG et DAO : M. Scrinzi)

Figure 2 : limite de la zone d'étude et état de la recherche dans les différentes communes qui la composent  (M. Scrinzi  et S. Sanz)

Figure 3 : occupation du sol dans la vallée du Vidourle au VIes. av. J.-C.  (M. Scrinzi  et S. Sanz)

Figure 4 : occupation du sol dans la vallée du Vidourle au Iers. ap. J.-C. (M. Scrinzi  et S. Sanz)

Figure 5 : occupation du sol dans la vallée du Vidourle au Xes. (M. Scrinzi  et S. Sanz)

Figure 6 : indices de lisibilité des parcelles prospectées et superficie prospectée pour les trois principales communes du haut Vidourle (M. Scrinzi)

Figure 7 : nombre de créations et d’abandons par siècles (M. Scrinzi)

Figure 8 : proportion de céramique d’importation (vaisselle et amphores) par rapport à la

vaisselle non tournée durant la 2emoitié du VIes. av. J.-C. (M. Scrinzi  et S. Sanz)

Figure 9 : proportion de céramique d’importation (vaisselle et amphores) par rapport à la céramique de Gaule durant la période tardo-républicaine (125-27 av. J.-C.) (M. Scrinzi  et S. Sanz)

Figure 10 : proportion de céramique d’importation (vaisselle et amphores) par rapport à la céramique de Gaule durant le Ve s. (M. Scrinzi  et S. Sanz)